En matière d’énergies renouvelables, la France est le plus mauvais élève de la classe européenne. Le projet de loi voté ce mardi 10 janvier à l’Assemblée devrait permettre à l’exécutif d’enclencher une « accélération » de ces énergies, devenues indispensables pour faire face à l’urgence climatique. Il s’agit également de gagner en indépendance énergétique, une question cruciale dans le contexte de la guerre en Ukraine. Alléger les procédures administratives, installer des panneaux solaires en bord d’autoroute et sur les parkings, développer massivement l’éolien en mer : la nouvelle loi d’accélération des énergies renouvelables est sensée permettre à la France de rattraper son retard.
En France, qui s’est longtemps reposée sur la puissance de son parc nucléaire, les énergies renouvelables ne représentent que 19,3% de la consommation finale brute d’énergie, une part plus faible qu’ailleurs en Europe et déjà en deçà de l’objectif fixé en 2020 de 23%. À l’urgence climatique, la guerre en Ukraine vient aujourd’hui ajouter la menace d’un « blackout », rendant nécessaire pour le gouvernement un changement d’échelle.
Pour 2050, le président Emmanuel Macron s’est fixé comme objectifs de multiplier par dix la capacité de production d’énergie solaire pour dépasser les 100 GW, et de déployer 50 parcs éoliens en mer pour atteindre 40 GW. Le nouveau projet de loi voté ce jour entend répondre à ces ambitions mais reste totalement silencieux sur les autres sources d’énergies potentielles comme la biomasse, la géothermie, l’énergie marémotrice, ou l’énergie osmotique. Silence aussi sur la structuration des filières économiques, la formation et les mesures destinées à accroître les compétences en la matière.
Délais réduits
Il faut en moyenne en France 5 ans de procédures pour construire un parc solaire, 7 ans pour un parc éolien et 10 ans pour un parc éolien en mer. Le texte prévoit des adaptations temporaires des procédures administratives pour simplifier et accélérer la réalisation des projets, l’objectif étant de raccourcir significativement les délais de déploiement.
Le gouvernement veut notamment réduire certains recours, en reconnaissant une « raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) » pour des projets d’énergies renouvelables. Cette mesure permet de hisser au rang d’intérêt général ces projets. Une disposition qui inquiète certaines ONG, qui estiment, comme l’avance le WWF, que cette présomption d’intérêt public ne peut être générale, « car il est des situations où les pertes de biodiversité sont importantes alors que les gains d’énergie sont faibles ». Pour les ONG, si présomption il y a, elle ne doit concerner que les « zones d’accélération », qui doivent bénéficier de garanties environnementales fortes.
Planification et approbation des communes
C’était un des sujets les plus sensibles du texte. Après un compromis trouvé au Sénat, les communes pourront faire remonter – dans un dispositif de planification « ascendante » – les zones d’accélération, prioritaires pour déployer des projets d’énergies renouvelables. Pour la phase d’application de ces zones « propices », l’approbation du maire sera requise.
La mesure a crispé la gauche, qui redoute le retour du « veto des maires » que réclamaient des députés LR pour l’ensemble du territoire. Elle inquiète aussi les ONG qui estiment que le processus de constitution de ces zones reste flou et que le dernier mot revienne au maire, qui disposerait, selon elles, d’un « droit de veto », l’article 3 précisant qu’« aucune zone d’accélération ne peut être identifiée sans l’avis conforme de la commune concernée ». Elles dénoncent aussi le manque d’association des citoyens aux procédures d’enquête préalable.
Acceptabilité
L’Assemblée a adopté en première lecture des amendements écologistes pour instaurer un observatoire et un médiateur des énergies renouvelables. Pour une meilleure « acceptabilité », les députés ont ajouté au texte un objectif paysager incitant les collectivités à « veiller à limiter les effets de saturation visuelle », notamment des éoliennes. Les préfets devront ainsi prendre en compte, pour l’octroi de l’autorisation d’exploiter, la puissance installée sur le territoire concerné, la nécessité de diversifier les sources d’ENR localement et de « prévenir les effets de saturation visuelle dans le paysage ». Les opposants à ces nouveaux critères estiment qu’ils risquent d’accroître les risques de contentieux et les dispositions visant à limiter l’éolien terrestre.
Enfin, afin de mieux répartir les énergies renouvelables sur le territoire, le texte rend possible une modulation tarifaire qui inciterait des porteurs de projets à s’installer dans des zones aux conditions naturelles a priori moins favorables. Cette mesure entend compenser la concentration actuelle de près de 60 % du parc éolien national dans les Hauts-de-France, l’Occitanie et le Grand-Est, ce qui génère, chez certains riverains, un sentiment d’injustice territoriale.
Plus d’espace pour le solaire
Le projet de loi facilite l’installation de panneaux photovoltaïques aux abords des autoroutes et grands axes. Il permet de déroger à la loi Littoral, dans un cadre très contraint, pour l’implantation de panneaux dans des « friches ». Il facilite aussi l’implantation dans les communes de montagne.
Il impose l’obligation d’équiper progressivement les parkings extérieurs de plus de 1.500 m2 avec des ombrières photovoltaïques. Des sanctions sont prévues en cas de non-respect. Pour les écologistes et les ONG, le texte ne va pas assez loin, et ils proposent de mobiliser plus encore les surfaces déjà artificialisées, comme les parkings à partir de 250 m2 ou les zones polluées, conformément aux préconisations de la Commission européenne dans le plan « RePower EU », présenté en mai 2022.
L’éolien prend la mer
Le projet de loi propose de mutualiser les débats publics sur la localisation des projets de parcs éoliens en mer « pour améliorer la planification spatiale » et accélérer leur développement. Le projet de loi instaure ainsi une planification de l’éolien en mer. Elle se ferait à l’échelle d’une façade maritime, ce qui impliquerait une meilleure répartition et une mutualisation des projets de parc. Une première cartographie de zones « prioritaires » devra intervenir en 2024. Celles-ci devront se situer prioritairement en zone économique exclusive, à 22 km au moins des côtes. Toutefois, le texte ne fixe aucune obligation de distance, au grand dam de députés de divers bancs qui pourraient exiger la possibilité de repousser les parcs un peu plus loin. L’Assemblée avait rejeté en séance des amendements LR réclamant que les zones d’implantation soient situées à une distance minimale de 40 km du rivage.
Redistribution de la valeur
La question du partage de la valeur est primordiale pour stimuler le développement territorial des énergies renouvelables. Sur proposition des socialistes, l’Assemblée a renoncé à un principe de ristourne sur la facture des riverains d’énergies renouvelables. Les députés privilégient des mesures territoriales plus larges comme des fonds pour aider les ménages modestes en situation de précarité énergétique ou pour financer des projets en faveur de la biodiversité.
Agrivoltaïsme
Le texte entend définir « l’agrivoltaïsme », combinant exploitation agricole et production d’électricité, par exemple avec des panneaux solaires montés sur des pieds, permettant la culture voire le passage d’animaux. La production agricole devrait rester « l’activité principale » ou les installations être « réversibles ».
Après ce vote à l’Assemblée nationale, une commission mixte réunira des députés et sénateurs pour tenter d’établir un texte de compromis, en vue d’une adoption définitive en février.
Avec AFP
Pour aller plus loin :
- Livre/BD « Le prix du vent – Des éoliennes, des bêtes et des hommes », de Maxime Poisot, Sioux Berger et Baptiste Chouët – Editions du Rocher, octobre 2022.