La transition écologique est chahutée au sein des instances politiques européennes, décidément sérieusement chahutée. Alors que les emballements du climat et de ses ravages s’amplifient chaque jour sous nos yeux, les décisions que les politiques devraient prendre pour éviter la catastrophe annoncée sont retardées, mises en pause, édulcorées, transformées voire tout simplement stoppées dans leur élan. Au moment de la mise en œuvre concrète de leurs intentions, souvent affichées comme vertueuses, les dirigeants politiques sont incapables de résister à la pression extraordinaire des groupes industriels et agroalimentaires qui ne veulent qu’une chose : que rien ne change pour continuer leurs affaires en dépit de tout bon sens climatique.
Le projet de loi sur la Restauration de la nature, portée au niveau européen, a été adopté, mercredi 12 juillet, par le Parlement européen. Si l’on s’en tient à ce titre, c’est une bonne nouvelle pour la planète. En réalité, les députés européens ont voté sur un texte défiguré par quelque 140 amendements qui ont vidé l’ambition à sa plus simple expression. Le projet initial, texte phare du Pacte vert européen, proposait d’imposer aux États membres des objectifs contraignants de restauration de terres et d’espaces marins abîmés par la pollution ou l’exploitation intensive, afin de préserver la biodiversité. « La loi vise à désaménager les fleuves, à redonner leur place aux zones humides, aux forêts, à mettre un coup d’arrêt à la dévastation des sols » rappelait l’écrivain Alexis Jenni dans une tribune à Libération.
Une urgence car plus de 80 % des habitats naturels européens sont déjà dégradés, « il s’agit du strict minimum, qui n’est même pas à la hauteur des enjeux pour être dans les clous de l’accord de Paris » insistait Manon Aubry (GUE/NGL, gauche).
Feu de tout bois
Mais les députés conservateurs du PPE, ceux de droite et d’extrême droite, ont fait feu de tout bois pour réduire le texte à la portion congrue, et satisfaire aux exigences pressantes des organisations et syndicats agricoles. La bagarre, intense, s’est livrée pendant des semaines aussi bien dans les couloirs du Parlement européen que dans l’hémicycle. Les organisations agricoles, piscicoles, forestières ne veulent pas de cette loi qui leur imposerait des contraintes. Ils ont, pour la bloquer, agité les épouvantails de l’inflation, de la déconfiture économique et surtout de la famine mondiale qui s’en suivrait ; car les agriculteurs polluent peut être mais ils nourrissent la population.
A l’arrivée, « Il n’y a plus aucune obligation de résultat dans ce texte final », regrette l’eurodéputé Pascal Canfin, président de la commission environnement du Parlement européen. Le texte final prévoit même des conditions dans lesquelles l’application de la loi peut être suspendue.
Ce revers pour l’environnement vient dans la foulée de la réautorisation du glyphosate décidé la semaine dernière et de l’introduction des technologies génomiques dans la production agroalimentaire. Nicolas Sarkozy en son temps avait dit que “l’environnement, ça commence à bien faire” ; plus récemment, le président Macron avait demandé « une pause » dans les réformes environnementales. Le 29 juin dernier, les chefs d’Etat et de gouvernement européens de droite – Nikos Christodoulides (Chypre), Krisjanis Karins (Lettonie), Ulf Kristersson (Suède), Kyriakos Mitsotakis (Grèce), Karl Nehammer (Autriche), Petteri Orpo (Finlande), Andrej Plenkovic (Croatie) et Leo Varadkar (Irlande) – ont tous approuvé une déclaration du PPE qui demande « une pause réglementaire » au niveau européen, en particulier sur le Pacte vert.
Désintégration de l’ambition écologique
La désintégration de l’ambition écologique européenne se poursuit de jour en jour. Ce 11 juillet, les eurodéputés ont procédé au vote d’un autre texte législatif clé pour la transition écologique de l’UE : la directive relative aux émissions industrielles. Celle-ci vise à réduire les émissions nocives provenant des installations industrielles, et notamment de certaines des plus grandes fermes d’élevage de l’Union européenne. La Commission avait proposé d’étendre la directive aux élevages bovins de plus grande taille, à davantage d’élevages de porcs et de volailles ainsi qu’aux exploitations de plus de 150 « unités de gros bétail » (UGB) pour l’ensemble du bétail, un seuil à partir duquel les exploitations seront définies comme « industrielles » et donc pénalisées en vertu de la directive.
Cependant, les eurodéputés ont décidé en séance plénière de revoir les ambitions de l’exécutif européen à la baisse en votant l’exclusion des élevages de bovins et le maintien des règles existantes pour les élevages industriels, actuellement définis comme des élevages de plus de 40 000 volailles, 2 000 porcs ou 750 truies. L’eurodéputé libéral Michal Wiezik (Renew Europe) a déclaré à Euractiv que le résultat du vote était « le pire résultat possible » et qu’il constituait un « nouveau coup porté à l’intégrité du Pacte vert pour l’Europe ».
« Le Parlement a décidé d’édulcorer et d’éliminer toutes les améliorations significatives de la proposition », a-t-il déclaré. Selon lui, « il est vraiment tragique que [le Parlement européen] ne soit même pas disposé à envisager l’inclusion des exploitations agricoles les plus grandes et les plus intensives dans le champ d’application de la directive ». Il a précisé que le résultat représentait également « un signal clair aux citoyens selon lequel la protection de l’environnement et de la santé humaine constitue un bel objectif, tant qu’il n’interfère pas avec le statu quo dans l’agriculture ». L’eurodéputée écologiste Jutta Paulus (Verts/ALE) a ajouté que « sous la pression du Parti populaire européen, les exploitations agricoles industrielles, responsables de la majorité des émissions de méthane néfastes pour le climat, continueront d’être exemptées des obligations de réduction des émissions ».
Ces épisodes jettent un éclairage inquiétant pour les prochaines élections européennes. Si la droite alliée à l’extrême droite tient les rênes de l’hémicycle européen, le Pacte vert européen ne se sera qu’un vague souvenir et les tentatives d’enrayer l’urgence climatique, lettres mortes.