Regardez le monde
avec les yeux ouverts

Inscrit ou abonné ?
CONNEXION

UP', média libre
grâce à ses lecteurs
Je rejoins

rejoignez gratuitement le cercle des lecteurs de UP’

Quand un Traité international freine la lutte climatique et protège les pollueurs

Commencez

Alors que nous célébrons les cinq ans de l’Accord de Paris sur le climat et qu’un Conseil européen doit rehausser l’ambition climatique européenne ces 10 et 11 décembre, celle-ci sera-elle entravée par un traité vieux de 30 ans ? Il s’agit du TCE – Traité sur la charte de l’énergie – pour lequel des eurodéputés ont réclamé en octobre dernier que l’UE se retire de la « Charte de l’énergie », qualifiée d' »obsolète » et d' »assurance-vie » pour les énergies fossiles, si la renégociation engagée par Bruxelles n’aboutit pas. Explications.

C’est au sortir de la guerre froide, que le Traité sur la Charte de l’énergie (TCE) a été créé en 1994, et entré en vigueur en 1998, par une cinquantaine d’États pour faciliter la coopération énergétique avec les pays d’Europe de l’Est et d’ex-URSS en protégeant les investissements internationaux dans ce secteur. Visant à améliorer la sécurité des approvisionnements, il oblige chaque partie à faciliter le transit des produits énergétiques sans distinction et fixe des procédures strictes pour le règlement des différends entre les États ainsi qu’entre États et entreprises, couvrant beaucoup de sources d’énergie comme le charbon, le pétrole ou le gaz naturel. Aujourd’hui, il comprend précisément 53 signataires dont l’Union européenne et tous ses pays membres (à l’exception de l’Italie), le Japon, la Turquie, l’Ukraine, la Géorgie, le Kazakhstan.
Il s’agit d’un vaste accord de commerce et d’investissement. Un cadre contraignant, donc, que reconnaissait la commissaire européenne à l’Énergie, Kadri Simson, lors d’un débat au Parlement européen en octobre dernier : « Il faut préparer le TCE pour l’avenir, qu’il nous aide à affronter le changement climatique et la transition verte, l’objectif 2050 de neutralité carbone ».

Un cadre contraignant que l’UE entend « réformer substantiellement »

Comme l’explique l’AFP dans une « brève » du 22 octobre 2020, une renégociation du traité au regard des préoccupations environnementales a débuté cette année, avec trois rounds de pourparlers en juillet, septembre, et novembre, sans véritable avancement.
« Une gageure », car toute modification exige l’accord des quelque 53 signataires : l’objectif de retirer les énergies fossiles du cadre du TCE « provoque certainement des résistances de la part de beaucoup des signataires non-européens », eux-mêmes producteurs d’hydrocarbures, a souligné Kadri Simson.

Les eurodéputés exigent quasi-unanimement une modification radicale, fustigeant particulièrement le mécanisme de règlement des différends qui, selon eux, empêche d’abandonner des infrastructures ou des approvisionnements dans les énergies fossiles : « Accord de Paris, pacte vert… tout ça ne sert à rien si la charte de l’énergie perdure, car dès qu’un État souhaitera une législation environnementale ambitieuse, il sera attaqué devant des tribunaux d’arbitrage privés par des Etats ou entreprises », avertit Aurore Lalucq (S&D, sociaux-démocrates). « Ce traité archaïque et climaticide fonctionne comme une assurance vie pour les industries fossiles », a-t-elle tancé.

« Ce traité que seuls les experts connaissent peut nous coûter des milliards d’euros de compensations pour des entreprises privées », abonde Martin Hojsik (Renew, libéraux). « Que faire si les négociations échouent ? ». « Nous sommes coincés dans des textes qui datent des années 1990, qui n’intègrent pas le risque climatique. Il faut cesser de tergiverser et sortir du TCE », a conclu Saskia Bricmont (Verts).

Pas si simple selon Kadri Simson : « Toutes les options sont sur la table. Mais un retrait est compliqué (…) Si l’UE en sort maintenant, elle devra continuer d’appliquer le traité non réformé pendant vingt ans pour les investissements en cours au moment du retrait ».

Pourquoi ne pas profiter d’une lecture illimitée de UP’ ? Abonnez-vous à partir de 1.90 € par semaine.

En effet, quand bien même un Etat se retirerait du Traité, il serait encore lié par ses engagements pendant vingt ans.

Un Traité qui dissuade et/ou sanctionne les pouvoirs publics

Les parlementaires européens et des ONG alertent sur l’ incompatibilité  du TCE avec les engagements du « pacte vert » fixés pour 2050.

Selon Attac France, dans une note publiée ce jour, ce TCE est détourné de sa fonction, et est désormais utilisé par les investisseurs pour intimider et sanctionner les pouvoirs publics lorsque ces derniers envisagent de modifier les réglementations portant notamment sur des infrastructures et investissements insoutenables du point de vue climatique.
Pour Maxime Combes, en charge des enjeux commerce/relocalisation à l’Aitec et porte-parole d’Attac France, « à l’heure où il faudrait accélérer l’abandon du charbon, du gaz et du pétrole, arrêter de prospecter et mettre en exploitation de nouveaux gisements, fermer des centrales polluantes, rendre plus contraignantes les normes industrielles, le TCE est une puissante arme aux mains des pollueurs pour dissuader les pouvoirs publics de prendre de telles mesures, et les sanctionner sinon ».

Alors que l’accord de Paris sur le climat se montre incapable d’imposer aux États récalcitrants des politiques climatiques plus ambitieuses, un accord international contraignant sur le climat existe : le TCE est un puissant outil du droit international qui contribue à dissuader les pouvoirs publics, et les sanctionner le cas échéant, s’ils viennent à prendre des décisions réellement ambitieuses en matière climatique.

C’est ainsi que la loi Hulot sur les hydrocarbures a été édulcorée, que le plan de sortie du charbon aux Pays-Bas est ralenti, que l’Italie est attaquée pour avoir introduit un moratoire sur les forages offshore, parmi des dizaines d’exemples. Le TCE contribue donc à rendre risquées, d’un point de vue juridique et financier, les politiques consistant à modifier les réglementations afin d’accélérer la transition énergétique.

Toujours selon Attac France, le TCE induit un risque de « gel réglementaire » : des mesures rendues nécessaires par l’aggravation de la crise climatique sont édulcorées ou abandonnées.  Car ce Traité dote l’industrie fossile d’un garde du corps juridique et d’une police d’assurance qui contribuent à pérenniser un système énergétique climaticide.

Sortir du Traité au nom de l’impératif climatique

La note d’Attac France montre combien ce processus n’a quasiment aucune chance de voir les 53 membres du TCE se mettre d’accord pour subordonner le droit des investisseurs aux objectifs climatiques : En décembre 2019, dans une lettre ouverte aux eurodéputés, à la Commission européenne et aux États membres du traité, 278 syndicats et associations ont appelé l’Union européenne et les Etats-membres à se retirer de ce traité international. Ce n’est ni un objectif inatteignable ni idéaliste.
Qu’il apparaisse très difficile de modifier le contenu de cet accord qui date du siècle passé concourt à donner encore plus de force à cette recommandation : puisqu’il n’y a presqu’aucune chance que les Etats membres du TCE se mettent d’accord pour subordonner le droit des investisseurs aux objectifs climatiques, encore mieux vaut-il unilatéralement, et si possible conjointement au niveau européen, décider d’en sortir. Au nom de l’impératif climatique.

C’est ce que préconise Valdis Dombrovskis, le commissaire européen au commerce, dans une lettre du 2 décembre, en réponse à une question écrite de parlementaires : « Si les objectifs fondamentaux de l’UE, y compris l’alignement sur l’accord de Paris, ne sont pas atteints dans un délai raisonnable, la Commission peut envisager de proposer (…) le retrait du TCE ». Comme l’explique Le monde ce 8 décembre : « La formulation est prudente mais c’est la première fois que l’exécutif européen évoque la possibilité d’un retrait de l’Union, qui, s’il s’accompagnait de celui des vingt-six Etats membres qui en font également partie, signerait la fin du traité. Rien n’empêcherait ensuite les Européens de se mettre d’accord pour s’abstraire de la clause des vingt ans entre eux. »

Par ailleurs, les organisations de la société civile appellent à mettre fin à la procédure d’élargissement des membres du TCE. Il est temps de ne plus chercher à exporter ce modèle qui fait du droit des investisseurs un droit supérieur aux enjeux écologiques et climatiques. À l’heure actuelle, plus d’une trentaine de pays sont engagés dans un processus d’adhésion, dont certains, comme la Mauritanie ou le Burundi, pour lesquels la démarche est déjà très avancée. Il ne faut pas que de nouveaux Etats se retrouvent prisonniers d’un instrument juridique qui protège les pollueurs plutôt que la planète.

 « Le débat autour de l’avenir du TCE illustre la confrontation entre un droit du climat encore incomplet et peu contraignant et un droit de l’investissement robuste et contraignant. La transformation des soubassements énergétiques de notre formidable machine à réchauffer la planète qu’est l’économie mondiale ne saurait se mener sans réduire fortement à la baisse la durée de vie des infrastructures pétrolières, gazières et charbonnières. Les entreprises privées, qui en sont le plus souvent propriétaires, ne vont pas s’abstenir de faire valoir leurs droits devant ces outils de justice parallèle (les mécanismes d’arbitrage entre États et entreprises : ISDS, ICS, etc.) auxquels les pouvoirs publics leur ont donné accès.

Pour lutter contre la désinformation et privilégier les analyses qui décryptent l’actualité, rejoignez le cercle des lecteurs abonnés de UP’

Le Traité de la charte de l’énergie fonctionne à la fois comme une arme de dissuasion massive à disposition des multinationales de l’énergie pour ralentir ou bloquer des politiques de transition énergétique et comme un outil de sanction financière envers les États lorsqu’ils décident néanmoins de mener des politiques climatiques plus ambitieuses. De ce fait, ce traité protège les pollueurs. »

« Pour la société civile, le temps est donc venu d’en sortir. Idéalement au niveau de l’UE, a minima au niveau français. Ce n’est ni un objectif inatteignable ni idéaliste : l’Italie a déjà pris cette décision et son retrait du TCE est effectif depuis presque cinq ans (1er janvier 2016). Le temps est venu que la France et l’UE en fassent autant. Au nom de l’impératif climatique et de la démocratie. »

De plus en plus contesté, le TCE fait désormais l’objet d’un processus de négociation en vue de sa « modernisation », avec une nouvelle réunion prévue ces 16 et 17 décembre.

Pour aller plus loin :

Nous avons un message pour vous…

Dès sa création, il y a plus de dix ans,  nous avons pris l’engagement que UP’ Magazine accordera au dérèglement climatique, à l’extinction des espèces sauvages, à la pollution, à la qualité de notre alimentation et à la transition écologique l’attention et l’importance urgentes que ces défis exigent. Cet engagement s’est traduit, en 2020, par le partenariat de UP’ Magazine avec Covering Climate Now, une collaboration mondiale de 300 médias sélectionnés pour renforcer la couverture journalistique des enjeux climatiques. En septembre 2022, UP’ Magazine a adhéré à la Charte pour un journalisme à la hauteur de l’urgence écologique.

Nous promettons de vous tenir informés des mesures que nous prenons pour nous responsabiliser à ce moment décisif de notre vie. La désinformation sur le climat étant monnaie courante, et jamais plus dangereuse qu’aujourd’hui, il est essentiel que UP’ Magazine publie des rapports précis et relaye des informations faisant autorité – et nous ne resterons pas silencieux.

Notre indépendance éditoriale signifie que nous sommes libres d’enquêter et de contester l’inaction de ceux qui sont au pouvoir. Nous informerons nos lecteurs des menaces qui pèsent sur l’environnement en nous fondant sur des faits scientifiques et non sur des intérêts commerciaux ou politiques. Et nous avons apporté plusieurs modifications importantes à notre expression éditoriale pour que le langage que nous utilisons reflète fidèlement, mais sans catastrophisme, l’urgence écologique.

UP’ Magazine estime que les problèmes auxquels nous sommes confrontés dans le cadre de la crise climatique sont systémiques et qu’un changement sociétal fondamental est nécessaire. Nous continuerons à rendre compte des efforts des individus et des communautés du monde entier qui prennent courageusement position pour les générations futures et la préservation de la vie humaine sur terre. Nous voulons que leurs histoires inspirent l’espoir.

Nous espérons que vous envisagerez de nous soutenir aujourd’hui. Nous avons besoin de votre soutien pour continuer à offrir un journalisme de qualité, ouvert et indépendant. Chaque abonnement des lecteurs, quelle que soit sa taille, est précieux. Soutenez UP’ Magazine à partir d’1.90 € par semaine seulement – et cela ne prend qu’une minute. Merci de votre soutien.

Je m’abonne →

S’abonner
Notifier de

0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments
Les « frontières planétaires » pourraient-elles définir de nouvelles règles pour les entreprises ?
Article précédent

Les «frontières planétaires» pourraient-elles définir de nouvelles règles pour les entreprises ?

L’Europe et ses connivences cachées avec l’industrie des énergies fossiles
Prochain article

L’Europe et ses connivences cachées avec l’industrie des énergies fossiles

Derniers articles de Transition écologique et énergétique

REJOIGNEZ

LE CERCLE DE CEUX QUI VEULENT COMPRENDRE NOTRE EPOQUE DE TRANSITION, REGARDER LE MONDE AVEC LES YEUX OUVERTS. ET AGIR.
logo-UP-menu150

Déjà inscrit ? Je me connecte

Inscrivez-vous et lisez trois articles gratuitement. Recevez aussi notre newsletter pour être informé des dernières infos publiées.

→ Inscrivez-vous gratuitement pour poursuivre votre lecture.

REJOIGNEZ

LE CERCLE DE CEUX QUI VEULENT COMPRENDRE NOTRE EPOQUE DE TRANSITION, REGARDER LE MONDE AVEC LES YEUX OUVERTS ET AGIR

Vous avez bénéficié de 3 articles gratuits pour découvrir UP’.

Profitez d'un accès illimité à nos contenus !

A partir de 1.70 € par semaine seulement.

Profitez d'un accès illimité à nos contenus !

A partir de $1.99 par semaine seulement.
Partagez
Tweetez
Partagez
WhatsApp
Email
Print