Le Conseil de Paris a approuvé, ce lundi 26 septembre, la piétonisation des berges de Seine, rive droite. Le projet ferme donc définitivement la voie Georges-Pompidou à la circulation automobile sur 3,3 km, de l’entrée du tunnel des Tuileries, à la sortie du tunnel Henri-IV.
La maire de la capitale, Anne Hidalgo, a salué une « décision historique, la fin d’une autoroute urbaine à Paris et la reconquête de la Seine ». Quelque 43 000 véhicules circulaient chaque jour sur ces berges classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Le dossier était extrêmement sensible depuis des années. Ce projet de piétonisation avait ses défenseurs et ses détracteurs. Pour ces derniers, le fait de rendre piéton ce tronçon de route entraîne de gros bouchons sur les voies supérieures.
La maire de Paris, elle, invoque un problème de pollution et de santé publique. Plusieurs pneumologues de renom ont lancé récemment un cri d’alarme, contre la pollution et pour la piétonisation des voies sur berges. Selon ces médecins, la pollution de l’air dans la capitale provoque 2 500 décès par an et retire plus de deux ans d’espérance de vie à l’âge de 30 ans.
Le risque est que, selon les calculs de la commission d’enquête publique, qui a rendu un avis défavorable à ce projet de piétonisation de la rive droite, 43 000 véhicules supplémentaires empruntent désormais chaque jour les voies supérieures de circulation, entraînant ainsi des bouchons supplémentaires.
Un arrêté municipal définitif suivra le vote dans quelques semaines. Il doit recevoir l’avis conforme du préfet de police de Paris, Michel Cadot, qui a le dernier mot en matière de circulation dans la capitale. En effet, le préfet fait part de conditions préalables à toute fermeture : la possible réversibilité du projet en cas de difficulté majeure de circulation durant une période de 4 à 6 mois, la suspension des autres projets de voirie pouvant impacter la circulation aux abords des berges (aménagement des zones 30, des places…), le maintien d’un accès permanent pour les services d’intervention et de secours et un suivi rigoureux des impacts de pollution et de circulation. Conditions qui sont, pour l’essentiel, reprises par la commission d’enquête publique.
Selon le préfet de police de Paris, dans une interview au journal Le Monde du 23 septembre, on constate un report sur le quai haut de 500 à 700 véhicules/heure, selon les horaires de la journée, ainsi qu’un report de quelque 400 véhicules/heure sur le boulevard Saint-Germain.
« Mais globalement sur ce tronçon Tuileries-Hôtel de ville, surveillé par la Ville, le report de trafic ne se traduit pas, à ce stade, par une perturbation majeure de la circulation. L’aménagement du rythme des feux, notamment au niveau du Pont-Neuf, et la réduction des travaux ont incontestablement facilité l’écoulement du flux.
En revanche, sur un tronçon plus large, la direction de l’ordre public et de la circulation a observé en amont de la Concorde des points de retenue. D’autant que, au niveau de la place de Varsovie en direction des quais bas, des travaux ont conduit à la suppression d’une voie de circulation pour créer un couloir de bus. Ces retenues, qui peuvent expliquer l’impression de fortes congestions chez les gens, se traduisent, pour une traversée de la porte de Saint-Cloud à la porte de Bercy, par une perte de vitesse de l’ordre de 5 km/h. Ainsi, on observe des points de retenue, mais pas de fort ralentissement de vitesse. Ces premières observations doivent toutefois être affinées. »
Les études de la Ville par des comptages empiriques réalisés par les services de la Préfecture seront enrichis avec les données des services de la direction régionale et interdépartementale de l’équipement et de l’aménagement d’Ile-de-France.
Cette proposition de fermeture des voies sur berges rive droite a été approuvée par tous les partis de gauche (PS-PCF, PRG, PG) et les écologistes. A droite, les groupes Les Républicains et UDI ont voté contre, le MoDem s’est abstenu.
Yann Arthus-Bertrand déclarait dans Le parisien : « J’ai senti une telle levée de boucliers des opposants contre ce projet que je me suis dit qu’il fallait agir ». Le 29 août dernier, il lançait une pétition intitulée « oui à la piétonisation des berges » cosignée par l’eurodéputé José Bové ou encore l’ex-ministre Corinne Lepage, et signée par plus de 1 700 personnes. « Pour moi, réduire la place des voitures en ville n’est pas un sujet politique mais seulement de bon sens et d’intérêt général. On est étouffés par les bagnoles à Paris. La pollution tue 6 500 personnes chaque année dans la métropole du Grand Paris. Si ce projet peut sauver ne serait-ce que la vie d’un enfant, ça vaut le coup de faire ».
Autre réaction celle de Philippe Bailly – toujours dans Le parisien – qui a décidé de lancer sa pétition sur le site change.org, recueillant plus de 2000 signatures, pour s’opposer au « passage en force » de la mairie : « C’était une initiative totalement individuelle et spontanée », explique ce patron d’une petite société de conseil basée à Boulogne (Hauts-de-Seine) en s’empressant de préciser qu’il n’est ni un fan de « bagnole », ni un militant de droite. « Juste un automobiliste, habitant des Hauts-de-Seine, qui a besoin de sa voiture pour ses 4 à 5 déplacements professionnels quotidiens dans Paris. » « Chercher des alternatives à la voiture, c’est très bien. Mais il faut d’abord les mettre en place avant de fermer des voies. Paris veut faire le contraire. Anne Hidalgo met la charrue avant les bœufs », conclut-il en dénonçant un projet plus idéologique que pragmatique.
Des réactions sans surprise : chacun savait que la volonté de la ville de Paris de fermer définitivement les voies sur berges à la circulation automobile engendrerait une bataille acharnée, tant ses conséquences prévisibles sont lourdes.
Et les parisiens dans tout ça ?! 55 % des Parisiens sont favorables à la piétonisation de la rive droite de la Seine, selon un sondage IFOP réalisé du 16 au 21 septembre auprès de 1 006 personnes. Les Parisiens des arrondissements centraux directement concernés par le report de circulation sur les quais hauts soutiennent à 62 % la mesure, selon le sondage.
La mesure est politiquement clivante. Très nombreux parmi les sympathisants de gauche (73 %) ils ne sont que 36 % à la soutenir parmi les électeurs de droite et du centre. L’adhésion au projet est la plus grande parmi les jeunes de 18-24 ans (69 %). Le sondage indique que 66 % des ouvriers et 63 % des employés y sont favorables. Enfin, 39 % des Parisiens qui ont une voiture sont d’accord avec sa décision de leur interdire de rouler le long du fleuve.
Améliorer la fluidité des transports en commun tout en les rendant plus agréables et moins chers, créer des parkings-relais, favoriser le covoiturage (Coovia, Tisséo à Toulouse,…), augmenter le pistes cyclables, rouler en scooter et moto électriques (Cityscoot), en trottinette ou en vélo Cargo, … autant d’alternatives possibles à la réduction de la circulation urbaine pour permettre à la ville de respirer.
Rappelons-le : près de 66% de la population devrait vivre en ville en 2050 !
« Ce que nous devons faire désormais, c’est construire des villes vivables, saines et durable » préconise l’architecte et urbanisme danois Gehl. Sujet qu’il développe plus longuement dans ses livres « Cities for People » et « Life Between Buildings », et qu’il détaille dans le documentaire « The Human Scale ». Ses recherches et ses théories ont inspiré de nombreuses générations d’urbanistes qui militent pour une ville à échelle humaine.
Faire de la vie publique le moteur de l’urbanisme : en 2009, Copenhague a établi un plan prospectif appelé « Une Métropole pour ses habitants », basé sur les travaux de Jan Gehl. « Le conseil de la ville a décidé via un plan stratégique, de faire de Copenhague la meilleure ville du monde. Il est intéressant de s’attarder sur quelques arguments clés développés : nous devons marcher plus ; nous devons passer plus de temps dans les espaces publics ; nous devons quitter plus souvent notre sphère privée. »
Gehl explique les conséquences : « cela améliore la vie en société, c’est bon pour le climat, et pour notre santé. Si tout le monde passait plus de temps dans les espaces publics, la ville deviendrait plus sûre, plus excitante, plus animée et plus intéressante pour tous. C’est l’un des éléments clés de la démocratie dans nos sociétés : faire en sorte que les citoyens se rencontrent tout au long de leur journée, et que cette diversité se croise en dehors des murs et des écrans. » Redonner accès à tous les espaces urbains disponibles fait partie des solutions pour une ville plus agréable, et ce n’est pas le Laboratoire des baignades urbaines expérimentales qui contredira Jan Gehl !
Olivier Razemon assure dans son livre « Comment la France a tué ses villes » (éd. Rue de l’Echiquier) qu’« Il faut des contraintes pour que les habitudes changent ». Pas un péage urbain, comme cela a été fait à Londres, ni des règles de circulation drastiques, comme à Milan, mais « une réduction de l’espace public dédié à la voiture ».
« Nous sommes des animaux bipèdes que l’évolution a développée pour un rythme de déplacement lent, aux environ de 4.5 km/h » explique Gehl lorsqu’il parle de nos sens. « Une bonne ville est une ville construite autour du corps humain et de ses sens. Il faut optimiser nos capacités à nous déplacer à expérimenter nos sens dans un environnement maitrisé. Pendant de nombreuses années, nous avons brisé ces lois naturelles pour le bien-être de l’automobile au détriment du bien-être humain. Comparez l’expérience de marche entre Venise et Brasília, et vous verrez laquelle est la plus propice à l’usage de vos sens humains. »
S’abonner
Connexion
0 Commentaires
Les plus anciens
Les plus récents
Le plus de votes
Inline Feedbacks
View all comments