Voici un article particulièrement intéressant de Pierre Barthélémy qui vient de paraître sur LeMonde.fr. UP’ vous propose de découvrir les effets d’une urbanisation mondiale galopante.
En 2011, la population mondiale a franchi la barre des 7 milliards d’individus. Et la moitié de ceux-ci vivaient dans les villes, une première dans l’histoire de l’humanité. La tendance ne va pas s’inverser de sitôt puisque les Nations unies estimaient l’an dernier qu’en 2030, nous frôlerions les 5 milliards d’urbains (sur 8,3 milliards de Terriens). C’est donc près de 1,5 milliard d’humains supplémentaires qu’il va falloir loger en ville d’ici deux décennies. Un pari gigantesque auquel se sont intéressés des géographes et environnementalistes dans une étude publiée le 17 septembre par les Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS).
Ces chercheurs sont partis du constat que la plupart des modèles sur la croissance urbaine fonctionnent à l’échelle d’une ville, d’une région ou, plus rarement, d’un pays, mais que, à l’échelle mondiale, rien ou presque ne permettait d’évaluer la manière dont les villes allaient pousser ainsi que leur impact sur l’environnement. Ils ont donc combiné une cartographie mondiale des zones urbaines, réalisée à l’aide d’un instrument installé sur des satellites de la NASA, avec des projections démographiques ou économiques et des cartes de la biodiversité.
Les résultats de cette modélisation sont assez impressionnants, si on arrive à se figurer ce que les chiffres recouvrent vraiment. En 2000, la couverture urbaine mondiale représentait 0,5 % de la totalité des terres émergées. En 2030, les villes grandissant de plus en plus vite, l’espace urbain devrait avoir triplé de surface et gagné 1,2 million de kilomètres carrés. Soit deux fois plus que la superficie de la France métropolitaine. Pour se représenter les choses autrement, il faut voir que 1,2 million de km2 gagnés en trois décennies, cela fait 110 km2 par jour, soit à peu près la superficie de Paris ! A chaque jour qui passe, le cumul des espaces gagnés par les villes du monde entier est égal à la surface occupée par la capitale de la France. Il est assez incroyable de se dire que les deux-tiers des zones urbaines de 2030 n’existaient pas au début du siècle.
Les auteurs de l’étude estiment, sans trop de surprises, que près de la moitié de cette expansion se fera en Asie, la Chine et l’Inde se taillant la part du lion. Ainsi, les géographes pensent qu’en 2030, on trouvera en Chine un cordon côtier urbanisé de 1 800 km de long, entre Hangzhou et Shenyang. Mais c’est en Afrique que la croissance de l’urbanisation devrait être la plus rapide avec une augmentation de 590 % prévue entre 2000 et 2030, notamment dans les cinq régions suivantes : autour du Nil en Egypte, le golfe de Guinée, les rives nord du lac Victoria, le nord du Nigeria – pays le plus peuplé du continent et en forte croissance démographique – et la région d’Addis-Abeba, en Ethiopie.
En conquérant rapidement de nouveaux espaces, les villes auront obligatoirement plusieurs impacts environnementaux.
L’effet le plus direct est la déforestation, laquelle contribue déjà de manière non négligeable à l’accroissement des émissions de CO2. Les végétaux sont en effet des puits de carbone et les supprimer pour construire des bâtiments ou des rues équivaudra à relarguer dans l’atmosphère 50 millions de tonnes de carbone par an. La biodiversité sera elle aussi touchée car, en grossissant, les villes grignotent sur les habitats naturels des animaux. La modélisation géographique publiée dans les PNAS montre ainsi que le gain de territoire réalisé par l’homme urbain mettra en péril l’habitat de quelque deux cents espèces d’amphibiens, de mammifères et d’oiseaux déjà répertoriées comme étant en danger ou en danger critique d’extinction sur la liste rouge de l’Union internationale pour la conservation de la nature.
Les auteurs précisent que leur étude ne prend pas en compte ce qu’ils appellent l' »urbanisation indirecte », c’est-à-dire l’impact qu’ont les agglomérations sur leur « arrière-pays » : approvisionnement en bois, en matières premières agricoles, prélèvements en eau, enfouissement des déchets en zones rurales, etc. Par exemple, la consommation en viande des urbains étant supérieure à celle des ruraux, on peut s’attendre à une demande accrue pour les produits carnés, avec tout ce que cela implique pour l’alimentation des bêtes, la production de méthane par les troupeaux, le traitement des lisiers… L’urbanisation est donc loin de ne peser que sur les espaces où la ville s’installe et il faudrait d’autres études pour évaluer à grande échelle ces effets de cascade.
En attendant, le phénomène d’urbanisation de masse est en phase d’accélération. Ce sont des centaines de milliards de dollars qui sont investis chaque année dans les travaux d’infrastructures, que ce soit pour les immeubles, les voies de communication, les réseaux d’eau, de gaz, d’électricité ou de télécommunications. Et quand le béton est coulé ou le macadam étalé, c’est pour longtemps. Pour atténuer l’impact global de ce milliard et demi d’urbains supplémentaires qui arrivera d’ici à 2030, les signataires de l’article de PNAS suggèrent notamment de privilégier la densification des villes plutôt que leur étalement. Pour eux, « le développement compact », en plus de préserver au maximum les espaces naturels, présente l’avantage de diminuer les pertes énergétiques. Mais les responsables de l’aménagement du territoire de chaque région ou de chaque pays doivent y réfléchir vite car, s’ils veulent limiter l’impact des villes sur l’environnement, la fenêtre d’intervention sera très courte. Encore faut-il d’ailleurs qu’ils souhaitent intervenir.
(Pierre Barthélémy (@PasseurSciences sur Twitter) – 23 sept 2012)
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