L’argent public continue d’affluer à gros bouillons dans l’industrie des énergies fossiles. Les pays du G20 déversent des niveaux record de subventions et d’investissements dans le pétrole, le charbon et le gaz, s’asseyant allègrement sur l’accord pris à la Cop26 de Glasgow, il y a deux ans, les engageant à les éliminer progressivement. Le montant des fonds publics alloués aux énergies fossiles dans 20 des plus grandes économies du monde a atteint un record de 1400 milliards de dollars en 2022. L’addiction aux énergies fossiles et l’appât du profit rendent aveugle aux effets dévastateurs d’un climat déréglé et d’une biodiversité en cours d’effondrement.
Selon un rapport du groupe de réflexion International Institute for Sustainable Development (IISD), le montant des fonds publics alloués au charbon, au pétrole et au gaz dans 20 des plus grandes économies du monde a atteint un record de 1400 milliards de dollars en 2022, bien que les dirigeants mondiaux aient convenu d’éliminer progressivement les subventions « inefficaces » aux combustibles fossiles lors du sommet sur le climat de la Cop26 à Glasgow, il y a deux ans.
« Il est essentiel que les dirigeants mettent les subventions aux combustibles fossiles à l’ordre du jour« , a commenté Tara Laan, associée principale à l’IISD et auteur principal de l’étude. « Ces chiffres nous rappellent brutalement que les gouvernements du G20 continuent d’investir massivement dans les combustibles fossiles, malgré les effets de plus en plus dévastateurs du changement climatique. »
En brûlant, les combustibles fossiles libèrent des polluants qui réchauffent la planète et rendent les phénomènes météorologiques extrêmes plus violents. Ils polluent également l’air avec des toxines qui endommagent les poumons et d’autres organes. Les scientifiques estiment que la pollution atmosphérique due aux combustibles fossiles tue entre 1 et 10 millions de personnes chaque année.
Mais au-delà des coûts indirects pour la société, les gouvernements ont encore abaissé les prix en soutenant les producteurs de combustibles fossiles et leurs clients avec de l’argent public. Selon le rapport, les gouvernements du G20 ont accordé l’année dernière aux combustibles fossiles 1000 milliards de dollars de subventions, 322 milliards de dollars d’investissements par des entreprises publiques et 50 milliards de dollars de prêts par des institutions financières publiques. Le montant total a plus que doublé par rapport à 2019, selon les auteurs.
Dès 2009, les dirigeants du G20 ont convenu d’éliminer progressivement les subventions inefficaces aux combustibles fossiles « à moyen terme ». Dix ans plus tard, lors du sommet sur le climat de la Cop26, les dirigeants mondiaux ont décidé d’accélérer ces efforts. Mais depuis, le coût de la vie a fortement augmenté en raison de la pandémie de Covid-19 et de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Cette dernière a déclenché une crise énergétique qui a incité de nombreux gouvernements à intervenir sur les coûts du carburant et à plafonner les factures d’énergie.
Les scientifiques et les médecins mettent depuis longtemps en garde contre les dangers de subventionner des carburants qui tuent, tout en bloquant les efforts d’assainissement des économies. Plus récemment, des experts en énergie et des économistes ont rejoint le chœur des voix qui remettent en question les subventions aux combustibles fossiles.
« Signe inquiétant »
En février, un rapport de l’Agence internationale de l’énergie a estimé que l’ampleur des subventions aux combustibles fossiles en 2022 était un « signe inquiétant pour les transitions énergétiques », bien que certaines mesures puissent être défendues comme des nécessités sociales ou politiques « étant donné les difficultés qu’une exposition totale aux prix du marché aurait pu causer ».
En juin, un rapport de la Banque mondiale a constaté qu' »en sous-évaluant les prix des combustibles fossiles, les gouvernements n’encouragent pas seulement la surconsommation, mais perpétuent également des technologies polluantes inefficaces et creusent les inégalités ».
Les auteurs ont également constaté que sur l’ensemble des subventions accordées au secteur de l’énergie, environ trois quarts vont aux combustibles fossiles.
« La réforme des subventions offre un potentiel énorme« , a déclaré au Guardian Richard Damania, économiste en chef d’un groupe de durabilité à la Banque mondiale et auteur principal de l’étude. « En réaffectant les subventions inutiles, nous pouvons libérer des sommes considérables qui pourraient être utilisées pour relever certains des défis les plus urgents de la planète ». Il a ajouté : « Les gouvernements devraient donner la priorité aux réformes qui renforcent l’acceptation du public, protègent les plus vulnérables et montrent comment l’argent est dépensé pour améliorer de manière significative la vie des gens« .
7 % investis pour le renouvelable, 93 % pour le fossile
« Les compagnies européennes de pétrole et de gaz ne sont pas du tout engagées dans la transition » même, si « elles prétendent l’être« , a regretté à l’AFP Jakub Gogolewski de Greenpeace. Celui-ci présentait, en pleine canicule, l’analyse d’un rapport de 110 pages écrit par un politologue allemand spécialisé dans l’énergie, Steffen Bukold. Selon ce rapport qui compile les résultats 2022 de douze groupes européens, dont BP, TotalEnergies et Shell, seulement 0,3% de leur production totale a été effectuée dans le domaine des énergies renouvelables.
En moyenne, « seulement 7,3% des investissements » des 12 entreprises ont porté sur les énergies vertes, alors que 92,7% ont financé des activités liées aux énergies fossiles comme le gaz et le pétrole qui émettent du CO2 et réchauffent le climat, dénonce l’ONG environnementale. « Et la situation a empiré en 2023 ».
La majorité des compagnies pétro-gazières européennes prévoient « de maintenir, voire d’augmenter leur production de pétrole et de gaz au moins jusqu’en 2030 », alors qu’elles se sont pour la plupart engagées à supprimer leurs émissions de CO2 d’ici 2050, note l’ONG.
Greenpeace appelle les gouvernements européens à réguler l’activité des énergéticiens pour les obliger à « réduire » leur propre industrie, car « l’auto-régulation ne fonctionne pas ». Elle souhaite ainsi que les Etats et la Commission fixent « un objectif obligatoire de réduction de la consommation de pétrole », a indiqué M. Gogolewski.
Contre nature
« Les entreprises du secteur des combustibles fossiles ayant enregistré des bénéfices records l’année dernière dans le contexte de la crise de l’énergie, elles ne sont guère incitées à modifier leurs modèles d’entreprise en fonction de ce qui est nécessaire pour limiter le réchauffement de la planète« , abonde Tara Laan de l’IISD. « Mais les gouvernements ont le pouvoir de les pousser dans la bonne direction » espère-t-elle encore.
Le professeur Robert Bell du Brooklyn College de l’université de New York est moins optimiste. Dans une tribune au Monde, il explique qu’en demandant aux compagnies pétrolières de réduire leurs activités fossiles, on leur demande l’impossible. Par nature, elles ne peuvent pas se reconvertir dans les énergies renouvelables. Les compagnies pétrolières non étatiques mais cotées en Bourse sont obligées de verser des dividendes élevés pour que les fonds de pension conservent leurs actions. L’amoncellement du profit est, pour elles, immédiat, alors que les conséquences de leurs productions sur le dérèglement climatique, même si elles se font déjà sentir avec acuité, sont pour plus tard. Sur ce constat, Robert Bell conclut sa chronique par cet avertissement tragique : » ne pariez pas sur la vie de vos petits-enfants…«