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Communautarismes, assimilations, intégrations, replis identitaires, discriminations : entre globalisation et nationalisme, il arrive que les idéologies se brouillent et les fronts se renversent. Qui sommes-nous ? Qui sont les autres ? Le gouvernement français a récemment annoncé un plan de « lutte contre la radicalisation » assorti d’une série de mesures qui ont pour but de prévenir le passage à l’acte violent. Si le terme de radicalisation n’est pas nouveau dans le langage politique français, il marque un tournant dans une politique antiterroriste qui, bien que reposant en grande partie sur des mesures administratives, se justifiait avant tout par l’approche judiciaire. Un rapport SciencesPo – CERI, dramatiquement d’actualité, analyse dans quelle mesure la « lutte contre la radicalisation » peut être mise en place sans tracer les contours d’un « multiculturalisme policier » qui semble à l’opposé d’une conception ouverte de la laïcité et du respect des droits fondamentaux.

La France se rapproche ainsi des Pays-Bas et du Royaume-Uni, qui ont développé ce type de politiques depuis la moitié des années 2000. Mais que siginifie exactement « lutter contre la radicalisation » ? Comment expliquer ce nouveau tournant du gouvernement français, et que peut-on apprendre de dix ans d’expériences de ces deux pays européens ? Cette étude montre que la lutte contre la radicalisation agit comme un discours efficace de légitimation de l’action policière au-delà de ses domaines de compétence habituels, en investissant de nombreux domaines de « gestion de la diversité » tels que l’école, la religion ou les politiques sociales. Elle retrace la diffusion de ce discours au sein des instances européennes et analyse, au travers de la notion de « multiculturalisme policier », les effets de ses déclinaisons juridique et administrative.

La réflexion autour de la « radicalisation » rejoint la question plus large de l’intégration des populations musulmanes en Europe, et plus généralement celle du choix des modèles d’intégration, ainsi que l’illustre le discours prononcé en février 2011 par le Premier ministre britannique David Cameron :
« En vertu de la doctrine du multiculturalisme, nous avons encouragé différentes cultures à vivre de façon séparée, loin les unes des autres et en marge de la société. Nous n’avons pas réussi à donner une vision de la société à laquelle ils aient envie d’appartenir. […] A cause de cela, certains jeunes musulmans se sentent déracinés. Et la recherche d’une chose à laquelle appartenir et enlaquelle croire peut les amener à cette idéologie extrémiste. »

Ces propos de Cameron sur l’« échec » du multiculturalisme font écho à un discours prononcé par le Premier ministre allemand lors d’un débat national sur ce thème en
octobre 2010.

Vue de France, la remise en question du multiculturalisme fait écho aux arguments d’un certain nombre de défenseurs du modèle de laïcité à la française et de son rejet du
« communautarisme ». Les politiques de lutte contre la radicalisation semblent en effet, au premier abord, s’insérer aisément dans le principe de la séparation des Eglises et de l’Etat, et de la différenciation entre le domaine public et le domaine privé dont relève le religieux. L’étude comparée des expériences britannique et néerlandaise montre cependant que la formulation du passage à la violence politique en termes de « radicalisation » produit l’effet inverse : en abordant le problème sous l’angle de vulnérabilités individuelles ou collectives intimement liées aux questions d’insertion sociale ou d’intégration culturelle, les politiques de lutte contre la radicalisation produisent et renforcent la division de la société en groupes ethno-religieux. Un tel « multiculturalisme policier » – à savoir la reconnaissance et la gestion de la diversité dans une perspective de sécurité – supprime en effet des questions fondamentales liées au pluralisme des débats publics, les reléguant à un langage dépolitisé et à un pur exercice bureaucratique ou administratif. Les politiques de lutte contre le terrorisme et la radicalisation deviennent dès lors une manière spécifique de gouverner la diversité.

De nombreux universitaires ont réfléchi à l’impact des politiques antiterroristes sur les populations (notamment à travers la notion de « communauté suspecte » et de son « effet » négatif, involontaire, qui génère, chez les musulmans de France, des Pays-Bas ou du Royaume-Uni, un sentiment de discrimination, d’aliénation ou de rejet), mais le CERI a souhaité aller plus loin dans l’analyse.

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Après des années de silence relatif sur la question, les événements récents – les affaires Mérah et Memmouche, le départ de jeunes Français pour la Syrie et hier, l’attentat contre Charlie Hebdo – ainsi que les pressions informelles des gouvernements et services de renseignement européens ont poussé la France à adopter des mesures de « lutte contre la radicalisation ».
La définition même de ce qu’est la « radicalisation » et des moyens supposés la combattre restent pourtant toujours sujet à débat. Pour de nombreux universitaires, le terme appartient avant tout au langage politique et correspond au besoin de trouver une explication simple, dont on pourrait décrire les étapes, les processus ou les facteurs, à un phénomène complexe : le passage à la violence politique de jeunes musulmans européens. Or, les quelques chercheurs qui ont travaillé empiriquement sur la question du passage à la violence politique, tel John Horgan, s’accordent pour dire qu’il n’existe pas de profil type, pas de parcours traditionnel ni d’étapes spécifiques. L’enrôlement dans des organisations ou des réseaux qui prônent la violence politique résulte d’une multiplicité de facteurs bien connus de la sociologie, qui se situent au croisement des dispositions acquises au cours de la vie par un individu (milieu familial, conditions économiques, expérience de la discrimination, de la violence, etc.) et des conditions spécifiques d’une configuration sociale et politique particulière (ce que la sociologie des mobilisations appelle la « structure d’opportunité »).

Il dépend donc, comme le montre Horgan, d’une série de coïncidences, de circonstances dues au hasard des rencontres et des parcours individuels. Il n’y a pas de parcours type du passage au « terrorisme », pas plus qu’il n’y a de profil type du « terroriste ».

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