Les laboratoires d’innovation sociale sont destinés à connaître un développement majeur dans les prochaines années. Leur objectif ultime est de résoudre des problèmes sociaux complexes. Comme cette méthodologie est en émergence, plusieurs modèles comportant des nuances se côtoient : living lab, design lab, change lab, social tech lab, …
On peut toutefois distinguer les laboratoires d’innovation sociale par les approches utilisées (design thinking, théorie U, données ouvertes…), par le secteur dans lequel ils oeuvrent (éducation, santé, environnement…), par leur vision du changement (initié à partir de la base, en réunissant un petit groupe d’experts, en mobilisant les familles…), par leur manière de travailler (priorité à l’expérimentation, à l’accompagnement, à la création de partenariats avec les entreprises privées…) et par leur implication avec le gouvernement (à l’intérieur des structures publiques, indépendant mais recevant une partie de son financement de l’État, membre participant au même titre que les autres…). Voici neuf clés pour mieux comprendre la particularité des laboratoires et leur importance dans le paysage de l’innovation sociale.
1) Vision systémique et complexe du changement
Les laboratoires s’inscrivent dans une vision globale du changement social. Les problématiques sont analysées à partir de la racine et non seulement à partir des symptômes. Les solutions développées doivent tenir compte à la fois des capacités et de l’influence des différents acteurs, des dimensions politiques qui favorisent ou non la résolution du problème et des principes de base autour de la notion de complexité (imprévisibilité, tout plus grand que la somme des parties, multiples interactions en présence…).
2) Mise en place d’une culture de l’innovation
Un élément essentiel au succès du laboratoire d’innovation est la culture développée à l’interne visant à promouvoir le risque et l’ouverture à de nouvelles façons de voir les choses. La culture organisationnelle est le terreau qui permet aux initiatives créatives de mûrir et de s’implanter. Ce sont également les aspects visibles des structures et des processus organisationnels, les valeurs défendues et les hypothèses implicites qui dictent les comportements des membres et insufflent ou non l’agilité nécessaire pour se questionner et s’ajuster.
3) Implication de parties prenantes diversifiées
Les laboratoires impliquent une diversité de parties prenantes préoccupées par la problématique sociale : acteurs étatiques, entreprises privées et fondations, milieu associatif, universités, et les personnes directement touchées par le sujet abordé (citoyens, usagers ou utilisateurs). Par la mise en réseau de cet écosystème de personnes, l’ouverture à la réalité des autres est encouragée. De plus, cette diversité de cultures et d’expertises augmente les possibilités d’innovations radicales propices à l’avancement significatif du laboratoire.
4) Expérimentation en mode itératif
Les laboratoires sont des lieux où l’expérimentation est de mise. Un processus d’essais/erreurs est proposé car cela stimule l’apprentissage et la bonification en mode continu du nouveau service, produit, projet ou programme. Le recours au prototypage permet de développer des modèles et d’illustrer rapidement notre compréhension des enjeux. Par ailleurs, la réalisation d’actions collectives et expérimentales favorise le sentiment d’appartenance au laboratoire et cimente une vision commune.
5) Emphase sur la collaboration et l’intelligence collective
Que ce soit par le type d’environnement ouvert qui favorise le réseautage et les échanges ou par les méthodes de cocréation utilisées, le laboratoire d’innovation sociale fait la promotion du travail collaboratif par l’apport de tous et chacun. En ayant recours à l’intelligence collective, caractérisée par une habileté de groupe à coopérer et à interagir avec succès devant une situation de crise, la dynamique du dialogue est favorisée tout comme l’implantation de solutions plus adéquates répondant aux besoins des collectivités.
6) Développement des compétences
Le laboratoire d’innovation sociale développe des habiletés chez ses membres en favorisant l’implantation d’initiatives et de solutions novatrices. En expérimentant une diversité d’outils et de méthodologies, un processus d’apprentissage en mode continu est proposé pour notamment réfléchir sur les façons de faciliter l’engagement des participants et diminuer les résistances face à la nouveauté. Les laboratoires permettent de bâtir un savoir-faire et un savoir-être porteurs d’avenir, offrant ainsi une contribution fondamentale aux sciences humaines et sociales.
7) L’apport de la recherche qualitative
Étant un supplément aux données quantitatives, la recherche qualitative est un incontournable car elle permet de recueillir les préoccupations d’une multiplicité d’individus. En ayant recours aux principes de l’évaluation évolutive (intégration d’un évaluateur dès le début, interventions actives de l’évaluateur pour générer des apprentissages…) ou aux techniques de l’ethnographie comme l’observation dans les milieux de vie ou les entrevues en profondeur avec différents usagers marginaux, une rétroaction rapide est favorisée pour éclairer le laboratoire en évolution.
8) L’accompagnement par une équipe professionnelle
Le laboratoire d’innovation sociale n’est pas une méthodologie facile à déployer. La démarche est marquée par des tensions et des difficultés notables qui apparaissent en cours de route. Créer une dynamique de groupe pour décloisonner la réflexion et susciter la mise en œuvre de solutions originales est tout un défi. Pour ce faire, l’accompagnement par une équipe de 2-3 facilitateurs ayant des expertises complémentaires, démontrant une transparence et ayant une certaine neutralité tout au long de la démarche est un gage de réussite.
9) La mise à l’échelle des solutions développées
Afin d’avoir une large portée, les résultats doivent pouvoir se répliquer dans d’autres environnements ou territoires. Pour cela, l’importance de documenter l’ensemble de la démarche, incluant les écueils et les moyens pour y faire face, est capitale. Tout un champ de recherche est ouvert quant à l’adoption des meilleures stratégies de transfert des connaissances et expertises. À cet égard, le laboratoire, par ses relations tissées au fil du temps, contribue à ce que les innovations développées puissent avoir un impact notable sur la résolution d’une problématique identifiée.
André Fortin, Conseiller en animation créative, innovation sociale et participation citoyenne – creative33.com
Références :
KIEBOOM, Marlieke. Lab Matters: Challenging the practice of social innovation laboratories. Amsterdam, Kennisland, 2014, 44 pages. [www.kl.nl]
BLISS, Amira et Nidhi SAHNI. « Four Social-Change Results That Innovation Labs Deliver », Stanford Social Innovation Review, 10 novembre 2014. [www.ssireview.org]