The eternal quest for immortality
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The eternal quest for immortality

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Un rêve de jeunesse éternelle. Voilà la vision d’Altos Labs, cette startup créatrice d’une technologie qui serait capable de rajeunir les cellules et de prétendre à une forme d’immortalité. Elle compte dans son équipe des ténors de la génétique et pas moins de deux prix Nobel. Un rêve à trois milliards de dollars qu’ont rejoints les figures multimilliardaires de la Silicon Valley — Jeff Bezos, le fondateur d’Amazon, en tête. La quête de l’immortalité et de la jeunesse éternelle est aussi vieille que la civilisation ; elle revient avec les transhumanistes et leurs paris technologiques de modification du vivant. Une question qui intéresse les philosophes, à l’instar de Mazarine Pingeot.


Faire l’histoire de l’immortalité nourrit le paradoxe : si l’immortalité était effective, elle ne serait soumise à aucune historicité. L’histoire, le processus, l’évolution : autant de notions contraires à l’immortalité.

It is obviously not about immortality - about which we know nothing - but about the thought of immortality and its great milestones. To attempt to make a history of it - which we cannot do here exhaustively, nor in the manner of a historian of ideas - is to seek, under the thought of immortality, the relationship of man to himself, of man to the other than himself (transcendence, the back worldsThe Church is a sign of the human spirit (its place in the society of men, in history, etc.) and of man in his relationship with others (his place in the society of men, in history, etc.).

It goes without saying that the thought of immortality will evolve according to scientific discoveries, changes in paradigms and representation of the world, the evolution of the relationship to time, beliefs, secularization, etc. In other words, it cannot be made into a story out of context.

Nevertheless, if it is an invariant, it is this desire for immortality which moves men, as a whole, as a human hope - to endure, to resist natural disasters, the apocalypse, on earth or elsewhere, etc., and man in particular, that individual who is doomed to death, and whose incessant activity tends to push back the end of it, or to surpass it by inscribing for future generations a trace of its passage.

Désir d’immortalité : l’invariant ; autour duquel l’immortalité change de forme en fonction des époques. Pour le montrer, nous renoncerons donc à une histoire à proprement parler, pour privilégier trois figures.

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Immortality among the Greeks

Hannah Arendt a rendu compte de la première dans plusieurs de ses ouvrages, mais nous citerons surtout « le concept d’histoire » publié dans la Culture Crisis. Elle y parle d’« immortalisation », cette action qui porte un nom en grec difficilement traduisible [αθαυατιζειυ], et qui engage trois types d’activité : l’objet qui immortalise mon action (une œuvre, une épopée, un monument…), l’action elle-même, en tant qu’elle est héroïque, glorieuse, et de ce fait mémorable, et enfin le choix de vie philosophique qui consiste à côtoyer les choses immortelles (les objets de la pensée).

Immortality among the Greeks is therefore a sign towards the work, the memorable action, or the philosophical life. But in order for this action of immortalizing to be possible, it was necessary to « un espace impérissable garantissant que l’« immortalisation » ne serait pas vaine »The political space in which these actions appear. There is thus an organic link between the desire for immortality and the political community, because only it guarantees the very possibility of survival.

Il faut pour comprendre cette idée – fort éloignée de notre propre conception de la communauté politique – rappeler que pour les Grecs le corps politique était la réponse au besoin de l’homme de dépasser la mortalité et la fugacité des choses :

« À l’extérieur du corps politique, la vie humaine n’était pas seulement ni même en premier lieu menacée, car exposée à la violence des autres ; elle était dépourvue de signification et de dignité parce qu’en aucun cas elle ne pouvait laisser de traces. »

Et Arendt de poursuivre :

« Telle était la raison de l’anathème jeté par la pensée grecque sur toute la sphère de la vie privée, dont l’ »idiotie » consistait en cela qu’elle se préoccupait seulement de survie » et de convoquer Cicéron pour qui « seules l’édification et la conservation de communautés politiques peut permettre à la vertu humaine d’égaler les actions des dieux. »

Here's the polished promue comme lieu du commun, où les hommes libres tâchent de rendre manifeste ce qui seul peut les rendre éternels : la valeur, l’exemple, la justice, etc. qui égalerait l’Olympe des dieux.

Immortality is thus associated with a common space that allows freedom to unfold. Politics is intrinsically linked to the possibility of immortality, that is, for the Greeks, a form of memory that exalts the values of humanity.

The immortality of Christians, a paradigm shift

Since immortality is the post-mortem reward of a life lived through faith and spiritual exercise - to put it bluntly - the relationship to the present time, to the time of life, is altered. And not only the relationship to time, but also and above all to political space. It is demoted in relation to the divine kingdom.

Immortality is certainly indexed to a certain type of behaviour, obedience, fervour - sometimes even fervour of predestination like Calvin'sor election just like Luther, il n’en reste pas moins que le rapport au politique devient annexe, voire accessoire. Le salut ne viendra pas du monde des hommes, y compris ou encore moins de leur communauté politique, mais de l’âme ; et si communauté il doit y avoir, elle peut à la limite se penser comme ordre religieux, qui fait vœu de se couper plus ou moins radicalement du monde.

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Il y a de nombreuses modalités théologiques, des variantes infinies au sein de l’espace chrétien : ce qui demeure, c’est cette partition entre la terre et les cieux, le corps et l’âme, la mortalité et l’immortalité. Et plus qu’une partition, c’est une scission.

Louis Janmot, « Le Poème de l’âme 16 », Le vol de l’âme.

Il se peut que la parole de l’évangile incite à faire le bien autour de soi, à organiser une société plus juste, il se peut que le message du Christ rejoigne l’action révolutionnaire, il se peut que l’interprétation des textes ait une efficience ici et maintenant ; il n’empêche, la vraie vie est ailleurs. Ce qui permet à l’occasion de nourrir une forme de résistance intérieure à la tyrannie, de survivre à l’horreur organisée des hommes, de se révolter contre les iniquités, mais c’est toujours au nom d’autre chose.

La transcendance porte plus de promesses que l’immanence. L’au-delà est plus gratifiant que l’ici-bas. Pourquoi changer le monde puisque le vrai monde est ailleurs ? Le sacrifice des premiers chrétiens, aujourd’hui les attentats kamikazes au nom d’une autre religion du livre, montrent bien le désintérêt pour la vie terrestre au profit d’une vie éternelle.

With transhumanism, a consumerist immortality...

Changement plus radical encore de paradigme : l’immortalité à l’heure du transhumanisme. Le désir est toujours là, intact, de perdurer au-delà de soi-même, de ne jamais mourir. Mais l’immortalité a complètement changé de visage : il ne s’agit plus d’exploit héroïque dont la mémoire sert l’édification des jeunes générations et crée un pont entre les différents âges de l’humanité ; il ne s’agit plus non plus de mépriser les biens de ce monde, avec la conviction que nous attend un paradis au-delà de la mort.

Certes, l’histoire est passée par là, les progrès scientifiques nous ont transportés d’un monde clos et orienté, à un univers infini où l’homme n’est que poussière, mais où il retrouve une dignité par sa foi en Dieu et par sa découverte de la conscience, puis à un monde potentiellement fini depuis que l’homme l’a modifié sans retour en arrière possible, au point de créer à l’aide des lois de la nature des armes qui peuvent la détruire. La conception du temps aussi a changé : il a été cyclique pour les Grecs, puis orienté vers un progrès infini dans la modernité, il a été assujetti à ce que les hommes pensaient pouvoir créer – leur histoire. La croyance au progrès a cédé la place à la perspective apocalyptique de la fin : destruction des ressources naturelles, réchauffement climatique sont comme autant de signes d’une irréversibilité qui infléchit l’idée même du futur.

Today, the weather getting tangled dans un présent sans cesse recommencé, il s’est accéléré au point de bégayer, il s’ouvre à un flux permanent d’informations détemporalisées en demeurant sur la toile, ou oubliées à peine énoncées, pour être remplacées par d’autres. Un temps désynchronisé, qui ne suit plus la révolution des planètes ni le rythme des saisons, qui ne suit plus un rythme commun : mais un temps où l’homme demeure mortel, et cet obstacle aux progrès de la science – et à l’hybris which is constitutive to him - appears to him as a humiliation.

Scarlett Johansson dans Ghost in the Shell. Allociné/Paramount Pictures

L’être humain désire l’immortalité : mais désormais pour lui-même. En tant qu’être vivant et non plus en tant que héros qui laisserait à méditer une action porteuse de valeurs ; une immortalité qui ne consacrerait pas les efforts de son âme, ni qui serait le résultat d’une promesse fondée sur la seule croyance : il faut de l’immortalité ici et maintenant. Cette immortalité, on ne la cherche plus à travers ce qui faisait l’immortalité chez les Grecs, et en quelque sorte chez les chrétiens : des valeurs immortelles, qu’on les dise humaines ou divines, naturelles ou métaphysiques, au-delà des individus de passage et des vies éphémères. Des valeurs qui pouvaient faire communauté, et mémoire de communauté.

Le transhumanisme, lui, propose une immortalité qui n’est que continuité biologique, même si la biologie est elle-même modifiée – on reste dans le champ du vivant et non dans celui des valeurs. Le combat pour l’euthanasie montre qu’il est une chose supérieure à la vie : la dignité. Le transhumanisme est un eugenics project, qui fait de la vie la valeur suprême. L’immortalité que la science promet est une immortalité de consommation, un bien que l’on peut acquérir moyennant finance. Elle n’échappe pas au règne économique d’un capitalisme moniste : elle en manifeste même la vérité, ou ce qui fait la singularité de notre époque. Nul besoin d’inscrire une trace – toutes les traces s’effacent, et il n’y a plus d’espace politique pour la conserver : les seuls lieux de mémoire tendent à devenir cette immense mémoire des big data : tout s’y préserve au même titre. C’est la trace qui prime sur ce dont elle est la trace. Elle s’inscrit dans un flux continu – qu’elle soit trace d’un fait individuel ou d’une action collective. Les deux sont des data, et s’ils donnent lieu à des commentaires, ceux-là à leur tour deviennent des data. La valeur des choses est nivelée, rabattue sur leur statut de fait.

Si les faits n’ont plus de valeur et s’il n’y a plus d’espace où cette valeur peut être interrogée, critiquée, partagée, s’il n’y a plus d’arrière monde, ou si le risque est trop grand de déléguer l’immortalité à une simple croyance, dans un régime où les assurances calculent au plus avantageux le rapport au risque, si enfin la vie a un prix convertible en monnaie, alors l’immortalité aussi : elle n’est plus cet incommensurable qui guide, elle est un commensurable qui se calcule. Puisqu’elle n’est rien de plus que de la vie. Le simple fait de la vie. Logique de survivants. Durer le plus longtemps possible. Achille avait préféré une vie courte, mais une vie valeureuse. Privilégiant pour cela le coup d’éclat à la vie privée, dont – je rappelle les mots cités plus haut, « l’ »idiotie » consistait en cela qu’elle se préoccupait seulement de survie »…

Choices are no longer made in the same way. It is the very framework of questioning that has changed. The notion of immortality is one of its symptoms.

Mazarine Pingeot est professeur agrégée de philosophie, University of Paris 8 - Vincennes Saint-Denis

Cet article a été publié dans UP’ Magazine sous le titre L’immortalité, de l’Antiquité aux transhumanistes le 19 octobre 2017

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