Mark Hunyadi

Mark Hunyadi: Understanding the world is already transforming it.

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Le monde qui vient sera peuplé de robots, nous interviendrons sur nos gènes, nous fabriquerons artificiellement le vivant, nous vivrons dans des sociétés qui nous demanderons d’obéir à des décisions formulées par des algorithmes que nous ne comprendrons pas. Chaque jour, de nouvelles techniques, des avancées scientifiques, des faits de société, des modes de vivre, de travailler, de jouer, sont imaginés. Un monde allégé des contraintes matérielles et corporelles qui nous lient, justement, à ce monde, nous est promis. Tout cela, dans le respect éthique de nos droits et libertés, nous dit-on. Pourtant, ce monde qui vient peut être éthiquement détestable et socialement pathologique.  Nous ne le percevons pas car nous sommes aveuglés par une sorte de schizophrénie démocratique : la société promeut nos libertés individuelles mais nous enserre dans les carcans de modes de vie que nous n’avons pas voulus. Se libérer de ce paradoxe est un défi politique. C’est ce que nous dit le philosophe Mark Hunyadi que nous avons rencontré à l’occasion d’une session de Questions de vie from Living Festival dont UP’ Magazine est partenaire.
 
Mark Hunyadi is part of this new generation of thinkers who, armed with a solid theoretical background, are deciphering our societies at their most up-to-date. Mak Hunyadi, a professor at the Catholic University of Leuven, was born in 1960 in Switzerland to Hungarian emigrant parents. Disciple of the great German philosopher Jürgen Habermas He taught philosophy first at Laval University in Quebec and then returned to Europe, to the University of Louvain in Belgium. His research is always oriented in the double direction of moral philosophy and applied philosophy. In this field, his early work was devoted to subjects such as drug addiction or violence; in the 2000s, his most important contributions focused on biotechnologies (especially cloning), but also on the precautionary principle; since 2006, he has been very active in the field of the ethics of nanotechnologies, and has been working on posthumanism since 2008. His latest book The tyranny of lifestyles dénonce un paradoxe :   notre société valorise par-dessus tout la liberté individuelle et l’autonomie, mais ce qui nous affecte le plus dans notre vie quotidienne – les modes de vie – échappe à toute délibération éthique et démocratique…
 
Peut-on aujourd’hui exercer une critique sur le monde, sur le monde conçu comme un tout englobant, une critique, au sens large de la philosophie ? À cette question pourtant simple, il est impossible de répondre par l’affirmative.  Mark Hunyadi est catégorique, l’activité critique du monde entendu au sens large est abandonnée par la philosophie. Il va même plus loin : « Philosophy, especially moral and political philosophy, has deserted the world ". 

The resignation of ethics

Comment en est-on arrivé à cette situation ? Parce que, plutôt que d’envisager le monde dans son ensemble, on en est arrivé à le fragmenter, le parcelliser. L’éthique a fragmenté ses domaines d’objets :  bioéthique, éthique médicale, éthique du handicap, éthique de la fin de vie, éthique de l’environnement, éthique animale, éthique de la recherche, … « This is the path that the ethics of our time has chosen to withdraw from the world: to parcel it out, to fragment it, to atomize it, to pulverize it - literally: to analyze it. ». Our ethics have become analytical and this, according to Hunyadi, is the surest way to remove the world itself from any fundamental questioning, and to "... the world itself...". allow the systemic forces that govern it to develop unhindered ".
Ethics has thus become the system's accomplice. Today, to criticize really means to measure everything by the yardstick of human rights, to check that the liberal ethics of individual rights is respected, and therefore that in general no harm is done, that discrimination is avoided and privacy is preserved. A " little ethic » servie par la multitude de comités, chartes, règlements, institutions éthiques de toute espèce qui pullulent dans nos sociétés avancées, mais qui en réalité servent à valider ce qu’elles sont désormais impuissantes à critiquer. Mark Hunyadi prend pour exemple le principe de précaution qu’il a longuement étudié : « In risk management, the precautionary principle is used to avoid excessive or unreasonable damage, but it is used to improve the overall technical-scientific approach. The precautionary principle does not serve to criticize the technological hold over the world, but to make this hold more fluid.

We obey decisions we don't understand.

Pour notre interlocuteur, le domaine de la robotisation est celui qui donne l’image la plus saisissante de cette démission générale de l’éthique : « Depuis que nous conversons avec des voix préenregistrées au téléphone, que nous obéissons au bip de notre ceinture de sécurité nous ordonnant de la boucler, nous nous sommes accoutumés à un environnement peuplé de machines; depuis que nous gérons notre vie relationnelle, professionnelle, intellectuelle mais aussi quotidienne et administrative par ordinateur, cet environnement logarithmé nous est devenu naturel. » Et ceci n’est rien, ajoute-t-il, à côté du monde peuplé d’androïdes qui  seront bientôt chargés d’accompagner nos vieillards, de garder nos enfants, de combattre l’ennemi, d’assister les grands blessés, de garder les prisons, de conduire nos voitures, de surveiller les musées, de régler la circulation, avant qu’ils ne se démocratisent en compagnons de notre vie quotidienne, veillant sur notre sommeil et notre bonne humeur, réglant nos tâches administratives tout en se souciant de notre hygiène corporelle et de notre équilibre diététique. Ils pourront recruter le personnel en sélectionnant les CV, ou être membres de conseils d’administration. Un jour viendra peut-être où l’on pourra épouser son robot, suite logique de ce concubinage pour le meilleur et pour le pire… En tout cas, les recherches de pointe au Japon portent sur les robots empathiques, capables de décrypter les sentiments suffisamment pour pouvoir jouer le rôle de substitut humain dans une relation sociale. Mark Hunyadi nous met en garde contre ce algorithmic reign that lead us to obey decisions we don't understand. He insists on making us aware that " L’imagination des chercheurs couplée au capitalisme intelligent n’a guère de limite dès lors qu’il s’agit d’imaginer un monde technologiquement allégé des contraintes matérielles et corporelles qui nous enchaînent au monde ".

In the ethical respect of individual rights, we are being prepared for a world that can be ethically detestable and socially pathological.

Certes, on objectera qu’à chaque nouvelle mise sur le marché, on se préoccupe de l’innocuité de la nouvelle invention, on crée des commissions pour garantir le respect informatique de nos vies privées et on veille à ce que la sécurité des usagers finaux soit garantie. Le philosophe y voit la cause du problème : « Even as ethical regulations multiply, we can no longer deal with the fundamental ethical question of whether this is the world we want. ». C’est vrai, cette question n’est jamais posée :  nous a-t-on un jour demandé si nous souhaitons un monde peuplé de robots, si nous désirons vraiment un mode de vie fait d’interactions avec des cerveaux programmés, si nous envisageons sérieusement une société où l’on abandonne les plus vulnérables – vieillards, enfants, malades – aux machines, parce qu’on n’a pas le temps de s’en occuper. La question préalable n’est jamais posée parce qu’on nous garantit que tout cela respecte parfaitement l’éthique des droits individuels. Nous participons ainsi « to the construction of a world that could be perfectly undesirable from the point of view of our social life; a world that is ethically just, but socially pathological ». For the philosopher, this is one of the most powerful paradoxes of our time, and there is something tragic about this paradox when we are presented with the advance of this technological world as inevitable.
 
ALiberal ethics does more than simply allow the mechanical deployment of the system: it plays an active part in it, by making it possible to ethically whitewash a world whose ethical quality in general is not questioned. "
 
Ainsi, ne nous leurrons pas. Quand Google se dote d’un comité d’éthique mais investit des milliards de dollars dans ses algorithmes toujours plus puissants pour rivaliser avec l’homme, que les grandes firmes de la Silicon Valley et d’ailleurs s’associent pour créer une université de la singularité chargée entre autres de réfléchir sur le transhumanisme, quand les comités éthiques publics ou privés pullulent, comment penser que ces instances puissent réellement émettre la moindre critique du système qui les a installés ? Mark Hunyadi précise : « It is a question of ethically whitewashing a project that is in itself immune from any possible criticism... ». Il insiste sur ce qu’il considère comme le point essentiel mais négligé dans la théorie sociale : « l’éthique individualiste libérale et toutes les institutions qui l’incarnent et la soutiennent (chartes, comités, commissions, normes, règlements, déclarations) – cette éthique donc, centrée sur l’évitement des torts, constitue le facteur immatériel le plus important de la reproduction matérielle de nos sociétés. Loin d’être un outil de critique ou de questionnement du système, l’éthique libérale favorise, fluidifie et garantit sa reproduction"
 
Ainsi, en nous focalisant exclusivement sur l’éthique des droits individuels, nous laissons s’imposer à nous des modes de vie que nous adoptons aveuglément.  C’est en ce sens que Hunyadi parle de « Lifestyle Tyranny ». For the philosopher, the "way of life" is that which is imposed on us, and which affects us so strongly, while being out of our reach.

We have a kind of democratic schizophrenia...

The Hunyadi way of life covers behavioural expectations that are sustainably imposed on the actors by the system. Thus, he explains, we are expected, for example, to earn our living by working, to be efficient, to know how to orient ourselves in our technological environment, to behave in a rational manner in general according to an end, and to conform to the roles imposed on us, to consumption patterns, to be cared for, to be loved or to be educated... These are expectations that are imposed objectively, i.e. independently of the preferences of the actors.
The philosopher insists on distinguishing lifestyle as an expectation of the system, from the simple practices that one is led to do. For example, shopping on the internet, using the television as a babysitter, or going on holiday to Ibiza is not a way of life, for the simple reason that these are not behavioural expectations demanded by the system. They are practices made possible by a certain state of technical and cultural development of the system, practices that many adopt out of comfort, conformity, lack of imagination or laziness, no doubt also for pleasure; and these practices are certainly, in many ways, characteristic of an era. But they are not behavioural expectations. Again, lifestyles do not say what actors do, but what is expected of them. 
 
Lifestyle is the face of the system experienced by the actors, the contact zone through which they ensure their social integration, since integrating into society means adopting its lifestyles. What is determined, however, is not the actors, but the lifestyles themselves, which are mechanically dependent on the system - that is why they escape the actors, even if they are proclaimed democratic.
 
For Mark Hunyadi, " Lifestyles do not form a superficial layer that we can change as we please, just as we change our clothes: by constituting our zone of contact with social life, they give shape to our very existence, in processes of subjectivation in which behavioural expectations play an essential role.. » Le paradoxe que souligne le philosophe c’est que «The way in which these expectations of behaviour are reproduced and imposed on us belies the cardinal values of freedom and autonomy on which our society is based. Our democratic rights are being turned, like a Moebius ribbon, into a tyranny of lifestyles.. » Cela signifie que nous sommes atteints d’une sorte de schizophrénie démocratique, qui n’est autre qu’une aliénation par les modes de vie : « while society promotes individual freedoms so that everyone can satisfy his or her preferences, the individuals who are the bearers of these freedoms are required to bend as if by destiny to the resulting unwanted lifestyles ".

Un défi politique : produire du commun

Le grand défi d’aujourd’hui consiste donc à surmonter ce paradoxe et la schizophrénie démocratique qui en résulte. Il s’agit en d’autres termes de se réapproprier les modes de vie. Comment y parvenir ? Mark Hunyadi nous donne quelques clés. Mais avant cela, il nous faut comprendre que le système se reproduit par fragmentation : fragmentation de la société en individus, multiplication des éthiques particulières, partage du public et du privé qui fragmente en les privatisant les conceptions du bien. Le système lui-même se reproduit par fragmentation : des savoirs, des objets de recherche, des compétences, des disciplines etc. Dans ce contexte, une réponse individuelle qui se lèverait contre les modes de vie que le système nous impose est vaine et illusoire, puisqu’elle ne ferait qu’ajouter de la fragmentation à la fragmentation. Il peut y avoir des attitudes de retrait (refus du téléphone portable et de l’hyperconnexion, refus du consumérisme à outrance etc.). Mais ces pratiques relèvent de l’héroïsme moral et sont politiquement insignifiantes. Dès lors, Mark Hunyadi aboutit à l’idée que « since the system reproduces itself through fragmentation, only a common institution or the establishment of common institutions will be able to defragment it ». The strategic tool that would stop the automatisms of a system that reproduces itself by fragmentation would be "...". commonplace ». For Hunyadi, that means " instil reflexivity, thinking, criticism, stop the automatic reproduction of the system ".
Alors que tout est fait aujourd’hui pour abolir la réflexion, renoncer à la compréhension, estomper toute critique, alors que la société « automatique » comme le dirait Bernard Stiegler, baigne dans un océan d’irréflexion, « Understanding the world is already transforming it. ".
 
Comment ? Quel modus operandi ? For the philosopher from the University of Leuven, digital tools and social networks - emblematic products of our lifestyles! - have a leading role to play in the political recomposition of the common. In this respect, he had evoked the idea of a virtual parliament in his last book.
There's something about this idea that's " gleefully ironic "he says, since it would turn the current changes in our lifestyles against the way those lifestyles are changing. « In this case, if the Internet is the very example of an evolution that has transformed our lifestyles without anyone in particular having wanted it, it could become the very tool that opposes this blind evolution, a dynamic of democratic reappropriation. ".
Mais Hunyadi est lucide et nous met en garde. Les outils de communication numérique recèlent une difficulté de principe : ce sont assurément des outils d’information, de participation et de mobilisation d’une puissance considérable, mais ce sont beaucoup plus difficilement des outils de délibération. « Clicking is not deliberate "he warns us, pointing to the phenomenon of petitions, a recent study of which showed that its development was concomitant with a decline in physical, offline participation. In one click, the signatory of a petition " empties its mobilization potential: just wiggle your little finger... "
 
Le défi que nous lance ce philosophe est théorique et pratique à la fois. Il s’agit d’articuler cette politique du commun aux acquis démocratiques fondamentaux auxquels nous tenons avec raison, sans toutefois faire des droits individuels l’horizon indépassable de notre architecture morale. Il s’agit plutôt désormais de faire accéder la démocratie à un palier supérieur de l’âge démocratique, en permettant la réappropriation démocratique et réflexive, à tous les niveaux pertinents, de nos modes de vie. Il conclut : « I am not unaware of the difficulties in principle and the practical difficulties associated with such a program, but let us consider that in the absence of such an objective, in the robotic and automated world we are predicted to live in, it will in fact be the computer programmers who will have the upper hand over our lifestyles. ".
 
 

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