Strong climatoskeptic activity in France: the hand of Moscow?
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Strong climate-skeptic activity in France

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Depuis l’été 2022, une large communauté s’est structurée pour bombarder Twitter de messages climatosceptiques, semant le doute sur les recherches des scientifiques du GIEC, et assénant des contrevérités massives. Derrière ces groupes, issus pour la plupart de la mouvance antivax et proches de l’extrême droite, on retrouve les traces des propagandistes du Kremlin. Une vaste opération de déstabilisation décryptée dans une étude minutieuse menée par le CNRS.

Selon une étude menée par des scientifiques de l’Institut des systèmes complexes Paris Ile-de-France (CNRS) et published le 13 février dernier, la France connaît en ce moment une vaste opération de diffusion de contrevérités à propos des enjeux climatiques. Dans le cadre du projet Climatoscope qui a analysé, depuis 2016, plus de 400 millions de tweets à propos du changement climatique, les chercheurs du CNRS ont passé au crible deux ans d’échanges sur Twitter, en 2021 et 2022.

Les chercheurs, dirigés par David Chavalaris, ont découvert que plus de dix mille comptes sur Twitter diffusent et relaient, par milliers de tweets quotidiens, de fausses informations. L’objectif premier est de faire douter de la véracité de l’ampleur de la crise climatique et de l’urgence à agir. Derrière cet objectif, se profile une stratégie élaborée de déstabilisation et d’opposition à toute mesure que pourrait prendre le gouvernement ou les institutions pour lutter contre le dérèglement climatique. A terme, les protagonistes de ces manœuvres forgent le projet de fomenter désordre et chaos social dans le pays.

Intensification du militantisme dénialiste

Ces climatosceptiques, que les chercheurs préfèrent appeler « dénialistes » — c’est-à-dire des personnes qui rejettent des faits bénéficiant d’un consensus au sein de la communauté scientifique compétente —ont vu l’activité de leur comptes Twitter multipliées par six pendant la période analysée.

Alors que le réchauffement climatique s’intensifie dans chaque région du monde (l’année 2022 étant emblématique) et que ses impacts s’aggravent, cette décennie est critique pour engager résolument une baisse des émissions de gaz à effet de serre. Malgré cela, les chercheurs du CNRS ont mis à jour une intensification de l’activité de groupes dénialistes et climato-sceptiques en ligne, avec des arguments allant de “le changement climatique n’est pas réel” à “le CO2 est bon pour la planète”, en passant par “il n’y a pas de consensus sur le changement climatique”, “le changement climatique est réel mais causé par la variabilité naturelle du climat” ou “les préoccupations climatiques font partie d’un agenda politique de gauche pour détruire le capitalisme”.

En France, l’intensification du militantisme dénialiste a été particulièrement marquée depuis juillet 2022 avec une triple actualité climatique : une série d’événements extrêmes, la tenue de la COP27 (en novembre 2022) avec un poids fort des industries fossiles (600 délégués), et enfin la convergence des enjeux du réchauffement climatique avec ceux de la sécurité d’approvisionnement en pétrole et en gaz du fait de la guerre en Ukraine.

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Les chercheurs ont nettement observé depuis l’été 2022, la naissance en France d’une communauté de plusieurs milliers de comptes relayant des contenus dénialistes. Ces contenus sont programmés et planifiés de manière très organisée et une large partie d’entre-eux sont « inauthentiques » disent les chercheurs, c’est-à-dire opérés par des plateformes de robots (bots). On parle alors d’ « astrosurfing », stratégie consistant à faire croire en l’adhésion d’une foule à une cause par la création d’une foule factice.

Bien menée, cette stratégie peut avoir un pouvoir de persuasion non négligeable auprès de l’opinion publique et elle est d’autant plus facile à déployer en ligne qu’il est possible d’acheter à bas prix de faux comptes, opérés par des humains ou des robots, qu’agiront selon les souhaits de leurs acquéreurs, augmentant artificiellement la présence en ligne d’une idée, d’une personne ou d’un produit. Cette stratégie connaît actuellement un regain d’intérêt avec l’arrivée des intelligences artificielles conversationnelles de type ChatGPT, qui réduisent les coûts de ce genre d’opération tout en en augmentant l’efficacité.

Le CNRS a mesuré cette activité spécifique et a observé qu’elle avait augmenté de 340 % entre 2021 et 2023, avec une très forte accélération en février 2022 à partir de l’invasion de l’Ukraine par Poutine et de la campagne présidentielle française.

Focus sur un compte d’influenceur dénialiste

Pour comprendre l’origine de cette poussée de dénialisme à la française, les chercheurs se sont concentrés sur les comptes les plus actifs de cette nouvelle communauté. Le compte Twitter Elpis_R, (17,8k abonnés), dont l’activité sur Twitter a plus que doublé depuis cet été, apparaît de loin comme le plus influent de cette communauté. Il s’agit d’un compte anonyme, servant de passerelle entre l’espace informationnel français et la communauté des influenceurs anglosaxons se prétendant “experts ”en climatologie.

Pour défendre son point de vue, le compte Elpis_R développe une  rhétorique  dite  des « 5D »  particulièrement  appréciée  des opérations de subversion : Discrédit (“si vous n’aimez pas ce que vos critiques disent, insultez-les”), Déformation (“si vous n’aimez pas les faits, déformez-les”), Distraction (“si vous êtes accusé de quelque chose, accusez quelqu’un d’autre de la même chose”), Dissuasion (“si vous n’aimez pas ce que quelqu’un d’autre prépare, essayez de lui faire peur”), Division (“si vos adversaires sont trop forts, divisez-les”). Il la complète par un sixième « D » qui est peut-être le plus important pour favoriser l’inaction climatique : le Doute.

Depuis juin 2022, Elpis_R s’attaque spécifiquement aux membres du GIEC et aux scientifiques des sciences du climat et du changement climatique, dans un soudain emballement pour les questions climatiques, qui fait suite à une longue période de militantisme antivax, la transition entre ces deux périodes s’effectuant à travers une phase où il s’est fait le discret relais de la propagande pro-Kremlin qui a inondé les réseaux sociaux au début de la guerre en Ukraine.

Le succès du compte Elpis_R tient probablement au fait qu’il agit sur un terrain favorable, où toute une communauté est déjà prédisposée à écouter les discours antisystèmes et complotistes. Outre la fraction plus importante de « bots », qui a pu aider amorcer la pompe, cette opération de subversion a bénéficié d’un terrain particulièrement favorable sur un fond de crises sanitaire, économique et sociale.

Antivax et propagande pro-Poutine

La communauté dénialiste comporte un noyau dur constitué de plusieurs milliers de comptes ayant participé à de nombreuses campagnes “antisystème” opportunistes et notamment les campagnes de contestation des mesures prises contre le Covid-19 ainsi que celles d’indignation pro-Poutine contre les mesures prises par l’Europe en réaction à l’invasion de l’Ukraine. Les chercheurs du CNRS font remarquer qu’une grande proportion de cette communauté a participé au relais de la propagande du Kremlin depuis le début de la guerre en Ukraine.

De fait, ajoutent les chercheurs, « cette communauté dénialiste est intégrée dans un contexte international et géopolitique plus large où se déploient régulièrement des actions de subversion ».

Ils rappellent ainsi que le Kremlin dispose depuis 2013 de l’Agence de Recherche Internet (IRA), une usine à trolls créée par le fondateur du tristement célèbre groupe Wagner, Evgueni Prigojine, dont on sait qu’elle s’est à plusieurs reprises insérée dans les élections américaines, mais également qu’elle est active dans le domaine de la désinformation dans le monde entier, y compris en Afrique.

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Enfin, de nombreux travaux de recherche et d’investigation ont démontré que des États totalitaires comme la Russie ou la Chine mènent depuis longtemps une guerre hybride sur les réseaux sociaux, avec comme stratégie d’amplifier les divisions au sein des démocraties pour les affaiblir. Rappelons également que les énergies fossiles gaz et pétrole sont à l’intersection des questions de lutte contre le réchauffement climatique, des tensions géopolitiques entre la Russie et l’Europe depuis la guerre en Ukraine et des tensions sociales en France depuis les gilets jaunes. Dans ce contexte, le fait que la communauté dénialiste française soit constituée en grande partie par des comptes Twitter réceptifs à la propagande du Kremlin et convertis au climato-scepticisme au moment de la guerre en Ukraine, après avoir été plusieurs mois antivax, est pour le moins troublant.

Insinuer le doute pour forger le chaos

La question du changement climatique est un terrain où les gouvernements sont exhortés par une partie de la population à prendre des mesures fortes, impliquant des changements importants dans les modes de vie de tous les citoyens. Beaucoup d’entre-eux n’accepteront ces mesures que si le jeu en vaut la chandelle. Insinuer le doute et désinformer sur la réalité du changement climatique dans certaines communautés, tout en exacerbant la conscience de l’urgence climatique dans d’autres, est donc une manière très efficace pour déstabiliser les gouvernements en les plaçant au centre d’injonctions contradictoires de la part de leurs citoyens. Quelles que soit la politique adoptée, c’est la révolte sociale assurée.

Les chercheurs concluent leur étude en alertant : « Les discours sur Twitter des communautés dénialistes et technosolutionnistes freinent probablement la dissémination des connaissances scientifiques et des conclusions du GIEC en agissant de manière négative sur l’activité en ligne des scientifiques des sciences du climat et du changement climatique ». 

 Conséquence de ces campagnes de dénigrement ou du changement de direction du réseau social dont l’oiseau bleu sympathique a été subitement remplacé par un X menaçant, les spécialistes du climat, scientifiques et environnementalistes quittent en masse Twitter.

Depuis la vente de la plateforme au milliardaire Elon Musk en octobre 2022, près de la moitié de ses utilisateurs « environnementalistes » – y compris des scientifiques, des décideurs politiques et des activistes – ont cessé de tweeter. Des chercheurs ont publié ce 23 août une study qui révèle que la communauté active de Twitter sur l’environnement (définie comme ceux qui ont posté au moins un tweet sur le sujet au cours d’une période de 15 jours) avait diminué de 47,5 % en avril 2023. Pourtant, selon les chercheurs, Twitter était jusqu’à présent la plateforme la plus populaire pour les écologistes souhaitant collaborer sur des objectifs de plaidoyer, partager des idées et des recherches, et trouver de nouvelles façons de travailler ensemble.

Le déclin rapide du nombre d’utilisateurs actifs tire une sonnette d’alarme. Certains des spécialistes de l’environnement et du climat interrogés dans une recent paper publiée par Nature ont indiqué qu’ils avaient constaté une augmentation des trolls, des discours haineux et des faux comptes sur Twitter. Žiga Malek, spécialiste de l’environnement à l’université libre d’Amsterdam, a déclaré avoir rencontré de nombreux comptes politiques d’extrême droite « étranges » qui prônent le négationnisme scientifique et le racisme, et avoir dû les bloquer en permanence. « Au cours des derniers mois, depuis la prise de contrôle et les changements survenus sur Twitter, la quantité, la vitupération et l’intensité des abus sont montées en flêche », a déclaré l’hydroclimatologue Peter Gleick à l’AFP.

En modifiant la perception de l’urgence à agir, en insinuant le doute et la controverse, ces manœuvres sont toxiques sur le plan du climat comme sur celui de la démocratie. Le piège qu’elles tendent est destiné à obérer notre capacité à agir, maintenant.

Mise à jour de l’article publié dans UP’ Magazine le 14/02/2023

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