Le langage des abeilles – Plus qu’une simple danse, de Jürgen Tautz – Illustrations Silke Arndt – Editions Delachaux et Niestlé, 15 septembre 2023 – 256 pages
Au cours des recherches sur les abeilles, les scientifiques ont pu observer en profondeur la vie intime de leurs colonies et ont beaucoup appris sur leurs comportements. Leur danse frétillante est notamment devenue célèbre. Mais les dernières découvertes montrent que même en dehors de la ruche, les abeilles sont des insectes sociaux qui communiquent entre eux.
Dans ce livre, Jürgen Tautz, l’un des chercheurs les plus renommés sur les abeilles, met en lumière non seulement le fascinant langage de la danse, mais également d’autres comportements passionnants liés aux échanges d’information entre les abeilles.
« Explorer le langage de la danse des abeilles mellifères est précisément l’objet de ce livre : comment une abeille collectrice trouve-t-elle la destination pour laquelle elle a été recrutée par une danseuse ?
Trois propositions principales se dégagent des recherches effectuées sur les abeilles au cours des deux mille dernières années :
1 – Les abeilles recrutées sont GUIDÉES vers l’objectif (Aristote)
2 – Elles sont ENVOYÉES vers l’objectif (Karl von Frisch : langage de la danse)
3 – Elles sont ATTIRÉES par l’odeur (Adrien Wenner)
Dans cet ouvrage, il est démontré que chacune de ces trois affirmations est juste. Mais elles ne sont pas utilisées alternativement selon les circonstances. Bien au contraire, elles s’entremêlent étroitement dans une chaîne de communication complexe entre abeilles, qui débute dans la ruche et s’achève au lieu de destination : seule la combinaison de ces trois modes de communication permet aux abeilles recrutées dans la ruche d’atteindre leur cible. »
Le professeur Jürgen Tautz est un expert des abeilles, sociobiologiste, spécialiste du comportement et professeur à la retraite au laboratoire de biologie de l’université de Würzburg. Il est également président de l’association pour les abeilles de Würzburg, ainsi que responsable du projet interdisciplinaire « HOneyBee Online Studies (HOBOS) » et du programme « we4bee ». Cet auteur à succès a reçu plusieurs prix pour ses actions de vulgarisation scientifique auprès du grand public.
Extrait /Introduction :
« Les cent dernières années de recherche sur les abeilles nous ont permis d’avoir une vision approfondie d’une partie de leur vie cachée. Nous avons beaucoup appris sur leur façon de vivre et d’évoluer dans leur monde. Tous ces travaux ont eu un fort impact sur la recherche comportementale moderne, sur ses concepts et sa terminologie. La biologie de la communication en particulier a bénéficié du grand intérêt que suscite aujourd’hui encore ce que l’on dénomme la « danse des abeilles ». Plus d’un millier de publications scientiiques sur ce mode de communication ont permis d’approfondir nos connaissances et de développer des concepts qui se reflètent dans d’innombrables manuels scolaires, livres d’enseignement et articles sur internet.
Cependant, la fonction et l’importance de la danse frétillante sont encore souvent surestimées de nos jours. Lorsqu’une abeille pénètre dans la ruche et exécute une danse, on suppose classiquement qu’elle communique avec ses congénères et leur fournit des informations, ce qui leur permettrait de se rendre directement vers d’éventuelles sources de nourriture. Mais à ce jour, on ignore encore pratiquement tout de la seconde partie de la chaîne de communication des abeilles : celle qui se déroule à l’extérieur de la ruche. Elle n’occupe qu’une place mineure dans les processus d’analyse des résultats d’expérimentation et reste une zone d’ombre dans la connaissance du comportement de communication complexe des abeilles : leur sociabilité ne s’exprime pas qu’au sein de la ruche ! En ayant cette réalité en tête, les recherches menées sur la communication des abeilles apparaissent assez unilatérales.
En 1971, le célèbre entomologiste Edward O. Wilson a écrit : « En outre, la danse frétillante était devenue une sorte de totem sacré qui nécessitait un examen critique par un groupe de chercheurs indépendants. » (287, p. 267)
Et de plus : « Ainsi, il existe peu de données sur la quantité d’autres signaux qui complètent la danse frétillante, en particulier les phéromones de regroupement émises par les glandes de Nasanov et qui sont libérées à proximité des nouvelles sources d’alimentation, ainsi que la détection des ouvrières en vol. » (287, p. 268)
Cette réflexion se rapporte à la communication entre abeilles butineuses sur le terrain. Avec l’attribution du prix Nobel à Karl von Frisch en 1973, la danse frétillante a été sacralisée et les interrogations ci-dessus de Wilson sont restées lettre morte. Sa critique de l’époque sur l’absence d’informations à propos de la deuxième phase des modalités de recrutement des abeilles est toujours d’actualité. Il est parfois indiqué dans la littérature que les abeilles bénéficient probablement d’autres moyens que la seule danse pour se guider vers leur but. Cependant, ces remarques sont restées sans suite, car elles n’étaient formulées que dans l’absolu, sans vérifications expérimentales et sans tentatives d’intégration dans les modalités connues de communication entre elles.
Cet ouvrage fait l’état des connaissances sur la danse des abeilles et les rassemble en un ensemble cohérent. Il liste aussi les recherches qui seraient nécessaires pour compléter notre connaissance de ce comportement, l’un des plus remarquables du règne animal. Cependant, il n’aborde PAS la question de l’importance globale pour l’ensemble d’une colonie d’abeilles de la localisation des sites d’alimentation lorsque les informations de la danse sont ignorées et son évolution possible selon les circonstances. Les abeilles novices qui suivent une danse ont de nombreuses options pour le choix de leurs trajets vers la cible. Cependant, elles ne trouveront pas la destination souhaitée si elles ne s’appuient que sur les informations fournies par la danse (voir à ce sujet le processus de recrutement chez les abeilles, en page 226).
Ce livre analyse les mécanismes grâce auxquels un site donné peut être trouvé, après qu’une danseuse en a fait la promotion. Il décrypte le langage de la danse. Et si celui-ci est l’objet d’un examen critique, cela ne concerne pas les nombreuses réflexions et publications sur le fait de savoir s’il s’agit vraiment d’un langage. Il est question uniquement de comprendre comment les abeilles novices parviennent à un site d’alimentation qu’une abeille collectrice a promu par sa danse. »